Les raisons de l’expansion coloniale

Un juriste définit la colonisation en 1912
“Coloniser, c’est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l’intérêt national, et en même temps apporter aux peuplades primitives qui en sont privés les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et industrielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d’indiquer.”
Merignhac, Précis de législation et d’économie coloniales, Paris, 1912.
Vers 1825, seule la Grande-Bretagne conservait un grand empire colonial. Celui de l’Espagne s’était émancipé ; la perte des colonies françaises avait été sanctionnée par le Congrès de Vienne (1815). Le libéralisme économique refusait toute nouvelle conquête .
“Les vraies colonies d’un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous indépendants, pour qu’ils deviennent tous plus industrieux et plus riches ; car plus ils sont nombreux et productifs, et plus ils présentent d’occasions et de facilités pour les échanges. Ces peuples alors deviennent pour vous des amis utiles, et qui ne vous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux, ni d’entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l’on sera honteux de tant de sottises, et où les colonies n’auront plus d’autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout au dépens des peuples.”
A partir des années 1870, une nouvelle vague colonisatrice se développe en direction de l’Afrique et de l’Asie. Les partisans d’une politique impérialiste (c’est-à-dire conquête de terres nouvelles et extension le plus loin possible de influence de son pays) la justifient en assignant quatre objectifs, social, économique, politique et idéologique.
Justification sociale
“J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier de Londres), et j’ai assisté à une réunion de sans-travail. J’y ai entendu des discours forcené. Ce n’était qu’un cri. Du pain ! Du pain ! Revivant toute la scène en rentrant chez moi, je me sentis encore plus convaincu qu’avant de l’importance de l’impérialisme… L’idée qui me tient le plus à coeur, c’est la solution au problème social : pour sauver les quarante millions d’habitants du Royaume-Uni d’une guerre civile meurtrière, nous les colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y installer l’excédent de notre population, d’y trouver de nouveaux débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines. L’Empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous voulez éviter la guerre civile, il faut devenir impérialiste.”
Cécil Rhodes, Premier ministre du Cap, extrait du journal Neue Zeit, 1898 (cité par Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916)).
Justification économique
“La nature a distribué inégalement, à travers la planète, l’abondance et les dépôts de ces matières premières ; et tandis qu’elle a localisé dans cette extrémité continentale qui est l’Europe le génie inventif des races blanches, la science d’utilisation des richesses naturelles, elle a concentré les plus vastes réservoirs de ces matières dans les Afriques, les Asies tropicales, les Océanies équatoriales, vers lesquelles le besoin de vivre et de créer jettera l’élan des pays civilisés. L’humanité totale doit pouvoir jouir de la richesse totale répandue sur la planète. Cette richesse est le trésor commun de l’humanité.”
A. Sarraut, Grandeur et servitudes coloniales, 1931.
“Messieurs, au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché. On a remarqué, en effet, et les exemples abondent dans l’histoire économique des peuples modernes, qu’il suffit que le lien colonial subsiste entre la mère-patrie qui produit et les colonies qu’elle a fondées, pour que la prédominance économique accompagne et subisse, en quelque sorte, la prédominance politique.”
Jules Ferry, Discours, 1885.
Des extraits plus larges de ce discours de Ferry sur Débats sur la politique coloniale en France
“Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n’est ni une intervention philosophique, ni un geste sentimental. Que se soit pour nous ou pour n’importe quel pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d’argent, d’existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération.”
Maurice Rondet-Saint, La Dépêche coloniale, 29 novembre 1929. L’auteur est directeur de la Ligue maritime et coloniale.
Justification politique
La conquête d’un Empire renforce le prestige et la puissance de la métropole.
“La colonisation est la force expansive d’un peuple, c’est sa puissance de reproduction, c’est sa dilatation et sa multiplication à travers les espaces ; c’est la soumission de l’univers ou d’une vaste partie à sa langue, à ses moeurs, à ses idées et à ses lois. Un peuple qui colonise, c’est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l’avenir et de sa suprématie future… A quelque point de vue que l’on se place, que l’on se renferme dans la considération de la prospérité et de la puissance matérielle, de l’autorité et de l’influence politique, ou que l’on s’élève à la contemplation de la grandeur intellectuelle, voici un mot d’une incontestable vérité : le peuple qui colonise est le premier peuple ; s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain.”
Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Guillaumin, 1870, p. 605-606.
L’auteur est économiste et l’un des grands théoriciens de la colonisation française.
“En premier lieu je crois en l’Empire britannique, et en second lieu je crois en la race britannique. Je crois que la race britannique est la plus grande des races impériales que le monde ait connues. Je dis cela non comme une vaine vantardise, mais comme une chose prouvée à l’évidence par les succès que nous avons remporté en administrant les vastes possessions reliées à ces petites îles, et je crois donc qu’il n’existe pas de limite à son avenir.”
Discours du 11 novembre 1895, Imperial Institute, Londres, par Joseph Chamberlain qui est alors ministre des Colonies.
« (…) J’admets que nous avons commis des fautes. Sans aucun doute nous avons été coupables de péchés de domination comme de péchés d’omission. Mais cela étant dit, il reste que, seuls parmi toutes les nations du globe, nous avons été capables de fonder et de conserver des colonies dans les conditions les plus diverses et dans toutes les régions du monde ; nous nous sommes assurés non seulement le loyal attachement de tous les citoyens britanniques, mais encore la sympathie de toutes les races – indigènes aussi bien qu’européennes – vivant à l’ombre du drapeau britannique. »
Discours du 21 janvier 1896, Joseph Chamberlain, Foreign and Colonial Speeches, Londres, Routledge and Kegan Paul Ltd, 1897, pp. 89, 93-95.
Justification idéologique
Croyance en une hiérarchie des races.
« C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point pour prouver l’existence chez eux de grandes facultés intellectuelles. Un fait incontestable qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que celui de l’espèce blanche, et comme, dans toute la série animale, l’intelligence est en raison directe des dimensions du cerveau, du nombre et de la profondeur des circonvolutions, ce fait suffit pour prouver la supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire. »
Article « colonie » dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Larousse, 1863-1865.
« Il y a plus de différence d’homme à homme que d’animal à homme. (…) Allez voir ces fils monstrueux de l’Afrique équatoriale ; vous aurez sûrement l’impression que l’abîme est moindre entre ces chiens qui jappent près de là et un Ashanti. »
Jules Lemaître, écrivain français ultranationaliste, 1887.
« Le Nègre est donc à peu près un homme comme les autres. Mais il faudra de longues années d’effort pour qu’il arrive à valoir les peuples blancs qui se sont emparés de sa patrie. »
Manuel scolaire, la Géographie vivante pour le cours préparatoire, 1926.
L’homme blanc doit remplir une mission, propager la civilisation, c’est-à-dire celle de l’Europe, parmi les races inférieures, chez les sauvages.
“La nature a fait une race d’ouvriers. C’est la race chinoise d’une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien.”
Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, 1871.
“Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n’a pas encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent les populations entières, c’est si j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. Il s’agit de planter l’étendard de la civilisation sur le sol de l’Afrique centrale et de lutter contre la traite des esclaves.”
Léopold II, Discours d’ouverture de la Conférence de géographie de Bruxelles, 1876.
“Le pays qui a proclamé les Droits de l’Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut les idées qui ont fait sa propre grandeur.”
Albert Bayet, Discours au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, 1931.
” Une nation est comme un individu : elle a ses devoirs à remplir et nous ne pouvons plus déserter nos devoirs envers tant de peuples remis à notre tutelle. C’est notre domination qui, seule, peut assurer la paix. la sécurité et la richesse à tant de malheureux qui jamais auparavant ne connurent ces bienfaits. C’est en achevant cette œuvre civilisatrice que nous remplirons notre mission nationale, pour l’éternel profit des peuples à l’ombre de notre sceptre impérial (…)
Cette unité (de l’Empire) nous est commandée par l’intérêt : le premier devoir de nos hommes d’Etat est d’établir à jamais cette union sur la base des intérêts matériels (…)
Oui, je crois en cette race, la plus grande des races gouvernantes que le monde ait jamais connues, en cette race anglo-saxonne, fière, tenace, confiante en soi, résolue que nul climat, nul changement ne peuvent abâtardir et qui infailliblement sera la force prédominante de la future histoire et de la civilisation universelle (…) et je crois en l’avenir de cet Empire, large comme le monde, dont un Anglais ne peut parler sans un frisson d’enthousiasme (…) “
Discours de Joseph Chamberlain, Colonial Office, 1895.
Toutes les justifications peuvent se regrouper.
“La première forme de colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroît de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante.
Mais il y a une autre forme de colonisation, c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont, ou bien un excédent de capitaux, ou bien un excédent de produits.
Et c’est là la forme moderne (…)
Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avantageux (…)
Mais, Messieurs, il y a un autre côté plus important de cette question, et qui domine de beaucoup celui auquel je viens de toucher. La question coloniale, c’est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, la question même des débouchés.
Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale – celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar – je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention, à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement (…).
Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent ; ce n’est pas par le rayonnement pacifique des institutions.
(…) Il faut que notre pays se mette à même de faire ce que font tous les autres et, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut en prendre son parti.”
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