5 septembre 1960 | Extrait de conférence de presse du Général De Gaulle sur la décolonisation de l’Afrique noire

Cet extrait de conférence de presse sur la décolonisation de l’Afrique noire présente un double intérêt. Il révèle la vision gaullienne de la colonisation mais aussi la manière dont il justifie la décolonisation. Il illustre également l’évolution de la politique française à l’égard des territoires africains à un moment charnière, celui où de Gaulle reconnaît les États africains tout en essayant de préserver la Communauté.
S’il reconnaît le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de Gaulle justifie la colonisation, mais au passé (« Il est vrai que pendant longtemps l’humanité a admis – je crois qu’elle avait parfaitement raison – que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, par les obstacles de la nature ou par leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties »). Il dresse un bilan « positif » de l’œuvre coloniale, faisant des réclamations d’indépendance une sorte d’aboutissement logique de l’action des puissances colonisatrices en Afrique et ailleurs : « Oui, ces pays furent conquis, révélés et éveillés. »
Il définit alors ce que doit être la politique de la France à l’heure des indépendances : ne pas faire obstacle à un processus jugé « inéluctable », au risque de « graves difficultés », ni, à l’inverse, s’en réjouir pour mieux se désengager, ce qui serait contraire à « l’idée que la France se fait d’elle-même [et] à l’idée que le monde se fait de la France ». Il plaide donc pour une politique conforme au « génie » de la France, qui reconnaisse les indépendances tout en préservant les liens avec l’ancienne métropole.
De Gaulle évoque le cas particulier du Cameroun et du Togo, qui étaient sous la tutelle, et non sous la souveraineté de la France, et qui pourront choisir leur destin « l’année prochaine ». De fait, le Cameroun accède à l’indépendance dès le 1er janvier 1960, le Togo le 27 avril suivant.
Le général a des mots très durs sur la Guinée, qui a refusé la Communauté et proclamé son indépendance dès 1958, pays qu’il présente comme « une république démocratique populaire, un régime totalitaire sous la dictature d’un parti unique ».
Face aux revendications d’indépendances dans le cadre de la Communauté exprimées par nombre de leaders africains, de Gaulle hésite puis admet, en décembre 1959, l’accession d’un État à l’indépendance sans qu’il cesse, de ce fait, d’appartenir à la Communauté. Ici, de Gaulle cherche encore à sauver la Communauté : « La Communauté, pour tout le monde, c’est l’indépendance effective et c’est la coopération garantie. » À propos des revendications des peuples jusque-là « attachés à la France », il parle, non sans condescendance ou au moins prise de distance, de « passion d’autodétermination, de libre disposition d’eux-mêmes et, à leurs yeux, d’indépendance ».
Tandis que le génie du siècle change notre pays, il change aussi les conditions de son action outre-mer. Inutile d’énumérer les causes de l’évolution qui nous conduisent à mettre un terme à la colonisation par le fait des progrès accomplis dans nos territoires, de la formation que nous donnons à leurs élites et du grand mouvement d’affranchissement des peuples de toute la Terre ! Nous avons reconnu à ceux qui dépendaient de nous le droit de disposer d’eux-mêmes. Le leur refuser, c’eût été contrarier notre idéal, entamer une série de luttes interminables, nous attirer la réprobation du monde, et tout cela pour une contrepartie qui fut inévitablement effritée entre nos mains. Il est tout à fait naturel que l’on ressente la nostalgie de ce qui était l’empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! C’est en les prenant pour base, ainsi que le font comme nous onze républiques africaines et la république malgache, que nous constituons avec elles un libre et amical ensemble pratiquant à l’intérieur de lui-même des relations étroites nourries de culture française, soutenant le même idéal, prêt à une défense commune dans le grand trouble, dans les grands remous auxquels l’Afrique est en proie et au milieu des courants qui divisent le monde, la Communauté nous renforce tout en servant la raison et la fraternité.
Le 14 juin 1960, le général de Gaulle vient à la télévision prononcer une allocution qui reste célèbre à plus d’un titre. L’allocution commence par « Il était une fois un vieux pays, tout bardé d’habitudes et de circonspection » : par ces mots, le général appelle à l’expansion et à la rénovation économique et sociale. Le second point abordé est celui de la nécessaire décolonisation ; c’est la fameuse petite phrase faisant allusion au « temps des lampes à huile ». La troisième partie du discours, et la plus importante, concerne l’Algérie. De Gaulle y réaffirme le principe d’autodétermination, renforcé par l’expression « l’Algérie algérienne », et lance aux « dirigeants de l’insurrection » un appel à déposer les armes.
Dans cette allocution, de Gaulle justifie une nouvelle fois aux yeux des Français la décolonisation. Parmi les causes du processus, il cite en premier « les progrès accomplis dans nos territoires [et] la formation que nous donnons à leurs élites », tendant à faire de la décolonisation avant tout le résultat de l’œuvre accomplie par la France dans les colonies. Il en fixe les enjeux, dans le contexte de la guerre d’Algérie (« luttes interminables », « réprobation du monde »). Enfin, à cette date, il peut encore évoquer la Communauté, qui éclate définitivement au mois d’août suivant.
La conférence de presse du 5 septembre 1960, même si elle aborde de nombreux sujets est essentiellement celle où le général de Gaulle expose ses vues sur la décolonisation. Il définit cette dernière comme un phénomène mondial inéluctable et comme la finalité de sa politique depuis la Seconde Guerre mondiale. Il situe l’enjeu du processus : la question n’est pas de savoir si les peuples colonisés accéderont ou non à l’indépendance, mais si leur émancipation se fera avec la France ou contre elle. Cette justification a posteriori contredit en réalité le refus du général, au départ, d’accorder aux peuples africains le droit de choisir entre la fédération, la confédération et l’indépendance, puis l’obligation qu’il leur a imposé de choisir entre l’association dans la Communauté et la sécession en rupture totale avec la France, et son espoir enfin de maintenir la Communauté malgré les indépendances.
Notes:
Voir aussi la fiche (contexte, notice, transcription) sur le site de l’<acronym title=”Institut national de l’audiovisuel”>INA</acronym>, « Charles de Gaulle, paroles publiques »
On peut retrouver fiche et transcription intégrale de l’allocution sur le site de l’<acronym title=”Institut national de l’audiovisuel”>INA</acronym>, « Charles de Gaulle, paroles publiques ».
Images INA – De Gaulle sur décolonisation Afrique Noire (Edition spéciale – 10/11/1959)
Source: CNDP