2 septembre 1898 | Soudan: La bataille d’Omdurman

LE CONTEXTE
En 1884, la mort (dans des circonstances assez mystérieuse) du Madhi n’améliore guère la situation au Soudan, son successeur, le calife Abdullah al-Taashi, étant aussi vindicatif et illuminé que le prophète. Continuant sur l’élan de son prédécesseur, le chef de l’état islamique se montre extrêmement dur et cruel envers les populations autochtones pendant que son armée de derviches harcèle les troupes coloniales et égyptiennes sur la frontière nord. En 1896, c’en est trop pour le gouvernement anglo-égyptien. L’ultraconservateur lord Salisbury charge le général Herbert Kitchener de soumettre le Soudan et d’éliminer définitivement la menace derviche. Bénéficiant d’une formation d’ingénieur, Kitchener a une faible expérience du terrain mais brille par un admirable sens de l’organisation et prône une grande discipline. Il est également servi par des troupes bien entrainées, dont certaines, comme les régiments soudanais noirs, ont des comptes à régler avec les derviches. Autant d’éléments qui vont faire la différence durant cette campagne et compenser la nette infériorité numérique des anglo-égyptiens.
LA MARCHE VERS LE SUD
Kitchener décide d’user le cours du Nil comme l’axe principal de son plan d’invasion. En effet, hors de question, à son avis, de s’aventurer dans l’immensité d’un terrain mal connu et ingrat, où les derviches seraient par trop avantagés. L’armée progresse donc en suivant le cours du Nil, sur environ 800 kilomètres – le matériel est embarqué sur une flotte fluviale composée de vapeurs – jusqu’à Ouadi Halfa, près de la première cataracte. Problème, à partir de ce point, le Nil opère un grand détour vers l’ouest avant de reprendre un cours plein sud. Une énorme perte de temps, et beaucoup d’efforts, que Kitchener veut éviter. A la grande surprise de l’état major, il décide alors de construire un chemin de fer au milieu du désert ! Faisant taire tous les septiques (dans un premier temps, le projet est même refusé), Kitchener, avec la précieuse assistance de l’ingénieur français Edouard Girouard et l’appui de la main d’œuvre locale progresse de plus de deux kilomètres de voie ferrée par jour ! Quand son itinéraire rejoint celui du Nil, Kitchener décide de continuer l’entreprise en construisant la voie le long du cours du Fleuve et, fin 1897, le corps expéditionnaire dresse son camp au fort d’Atbara, à la confluence du Nil Blanc et du fleuve du même nom. Grace au chemin de fer, Atbara n’est qu’à moins de deux jours de voyage d’Ouadi Halfa!
L’ENGAGEMENT D’ATBARA
Dans le même temps, du coté des derviches, on s’organise. Le calife charge l’émir Mahmud Ahmad, à la tête de 18,000 hommes, de se porter au devant des anglo-égyptiens pendant qu’il se positionne avec le gros de ses forces, obéissant à un « message » d’Allah qui lui a promis la victoire en ces lieux, à Omdourman, non loin de Khartoum, sur la rive gauche du Nil Blanc. Le 8 avril 1898, Kitchener ordonne à son infanterie de charger les forces derviches de Mahmud qui se sont installées en position défensive devant le fort d’Atbara. Déjà fortement éprouvées par un copieux pilonnage d’artillerie, les troupes du Califat ne tiennent pas le choc et fuient en déroute, laissant derrière eux environ 3,000 morts et un millier de prisonniers. La victoire est totale, l’émir Mahmud est capturé, Kitchener a perdu moins de 500 hommes et pour les anglo-égyptiens s’ouvre la route de Khartoum. La colonne anglo-égyptienne, composée de 25,000 hommes, 46 pièces d’artillerie, une batterie de mitrailleuses automatique Maxim (qui remplacent les obsolètes mitrailleuses à main Gatling), escortée par dix avisos-torpilleurs, s’ébranle alors en direction d’Omdourman, où l’attend Abdullah al-Taashi.
OMDURMAN, LA PREMIERE PHASE
Le 1er septembre 1898, Kitchener dispose son armée en position défensive à moins de dix kilomètres de l’ennemi, le dos sur la rive gauche du Nil, face à la large plaine de Kerreri. Le camp et l’hôpital sont installés près du petit village d’El Egeiga. Il fait également construire une longue redoute de 3 kilomètres de long, composée de zereba, des haies d’épineux solidement liés et fichés dans le sable. Les premiers rapports des éclaireurs font état d’une force derviche de plus de 50,000 hommes, dont une bonne partie est armée de fusils modernes (principalement des fusils Martini-Henri). Le 2 septembre, vers cinq heures du matin, les lignes derviches, qui s’étalent sur un front de huit kilomètres de long sont en vue des anglo-égyptiens, qui prennent position derrière les zereba. Abdullah al-Taashi ordonne l’assaut. Dans un hurlement, les derviches se ruent vers les positions ennemies.
Subissant les obus d’artillerie à 1800 mètres, puis les rafales de balles crachées par les mitrailleuses Maxim, les troupes Mahdistes sont définitivement arrêtées à 400 mètres par les tirs de fusils à répétition Lee-Merford usant de balles dum-dum (en 1898, ces balles explosives n’avaient pas encore été interdites par la Convention de Genève). Quand une grande partie de l’armée derviche part en déroute, Kitchener envoie les 21 ème lanciers – où officie un certain Winston Spencer Churchill, alors jeune officier de 23 ans – contourner le flanc droit ennemi pour l’empêcher de rejoindre Omdurman pendant qu’il organise la poursuite avec le gros de l’armée.
Se dirigeant vers le sud-ouest, les lanciers pensent tomber sur une petite résistance armée d’armes blanches et décident de la contourner pour s’attaquer au gros de l’armée ennemie se repliant derrière. Cependant, quand ils commencent à subir des tirs d’armes légères, ils réalisent leur erreur. Leur unique solution, désormais, est de charger au grand galop ce qu’ils croient être un petit détachement de quelques centaines de guerriers. Les anglais sont en fait trompés par le relief, qui cache plusieurs milliers d’hommes alignés sur douze rangs ! Malgré tout, l’impact de ce qui est connu comme l’une des derrières charges de cavalerie de l’Histoire, extrêmement violemment, culbute les lignes mahdistes. Suffisamment, du moins, pour que Churchill et ses camarades puissent se sortir de ce traquenard, avec un nombre limité de pertes (66 hommes et 5 officiers).
- Carte du fameux changement de front en L inversé pour contrer la deuxième offensive derviche
- Guerrier traditionnel Mahdiste, Soldat colonial britannique, soldat des brigades soudanaises
- Troupes britanniques abritées derrière un zereba
OMDURMAN, LA SECONDE PHASE
Persuadé à tort que l’armée du Califat est en déroute, le sirdar (titre de général en chef dans l’armée égyptienne) Herbert Kitchener ordonne à son armée de poursuivre vers le sud-ouest. Le flanc gauche de l’armée, certes, bénéficie légèrement de la protection du Nil, mais le droit est dangereusement exposé, complètement ouvert sur la plaine de Kerreri. Une initiative osée qui faillit causer la perte de l’armée anglo-égyptienne. Les Mahdistes, en effet, se sont ressaisis, ont reformé les rangs, repartent à l’offensive et tombent sur l’arrière-garde ennemie, qui marche dans la plaine de Kerreri, dangereusement isolée. Deux facteurs font alors sauver les anglo-égyptiens de la défaite.
Tout d’abord, le manque de synchronisation des attaques mahdistes avec des généraux qui lancent leurs guerriers à l’assaut sans aucune coordination et qui les prive de l’avantage du nombre (une désorganisation qui tient aussi de la présence de la cavalerie de Broadwood dans les collines de Kerreri, qui ralentit la contre-attaque mahdiste). Ensuite, l’excellente réaction du lieutenant-colonel Hector Macdonald et la discipline des hommes de la seconde brigade soudanaise, compose l’arrière garde de l’armée. Soudainement attaquée alors qu’elle est en ordre de marche, la brigade opère un changement de formation en ligne, avec une précision digne d’une manœuvre de parade, et arrête net par une série de salves la charge des derviches qui replient en désordre, abandonnant 500 morts sur le terrain. Mais la brigade de Macdonald est à nouveau sollicitée quand une nouvelle force de 20,000 derviches, commandée par le calife en personne, se jette sur elle de tous les cotés.
- Batterie de mitrailleuse Maxim à Omdurman
- La charge du 21ème lanciers
- Macdonald et Kitchener, les artisans de la victoire d’Omdurman
Héroïque, faisant preuve d’un flegme tout britannique, encourageant ses hommes par sa présence en première ligne, Macdonald fait opérer à ses hommes une série de manœuvres complexes (dont le fameux changement de front en L inversé qui le rendit célèbre) qui privent les mahdistes de tout débordement. Ils sont progressivement renforcés sur leur droite par une compagnie de méharistes – qui prend position dans les lignes – et résistent de belle manière quand le manque de munition commence à se faire sentir. Quand le régiment d’élite du Lincolnshire arrive au secours de Macdonald, la plupart des cartouchières des Soudanais sont vides. Apparait alors sur le champ de bataille les premiers bataillons de la seconde brigade égyptienne de Collinson qui, à marche forcé, venu de El Egeiga, se porte au secours de Macdonald. Abdullah al-Taashi, découragé, ordonne alors la retraite, abandonnant derrière lui 11,000 morts, 13,000 blessés et 5,000 prisonniers alors que les pertes anglo-égyptiennes sont minimes (47 tués et 350 blessés). Quelques jours plus tard, Kitchener entre dans Khartoum. C’en est fini de l’omnipotence du Califat au Soudan.
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