30 août 1955 | Algérie: l’état d’urgence proclamé dans toute le pays

La France venait de se doter d’un permis de tuer en toute impunité

Plus qu’une offensive, le 20 août 1955 a marqué indéniablement le tournant de la guerre de libération nationale. L’offensive conduite dans le Nord-Constantinois par Zighoud Youcef, sous la direction de l’ALN, a transformé la révolution algérienne, proclamée le 1er novembre, en une véritable guerre de libération nationale qui a réussi à fédérer tous les Algériens autour d’un mot d’ordre : l’indépendance du pays. Le 20 août 1955 a résonné comme une agonie de l’Algérie française. Outre, une répression disproportionnée de l’armée coloniale contre la population, qui a fait usage de chars et de l’artillerie lourde et le rappel de 60 000 réservistes pour mater la révolution, l’offensive a eu pour conséquences l’extension de l’état d’urgence à l’ensemble du territoire algérien. En vain. Puisque, la révolution est devenue véritablement une guerre d’indépendance, a embrasé toute l’Algérie et instauré l’insécurité dans toutes les villes.
Le 30 août, le gouvernement français proclame dans l’ensemble de l’Algérie l’état d’urgence, pour tenter de contenir la propagation de la révolution, qui avait déjà pris une ampleur telle que, selon de nombreux documents, à compter du 1er novembre 1954, à 50 km à vol d’oiseau de la capitale algérienne, la France coloniale n’exerçait plus son pouvoir qu’aux sièges des chefs-lieux
Cette législation d’exception, en 1955, se justifiait par la situation dans les maquis, en particulier dans la région des Aurès, et par la multiplication d’attentats, qui se soldait chaque mois par plusieurs dizaines de sabotages de lignes et voies de communication, d’incendies criminels, d’attaques à main armée, d’explosions de bombes, de destructions de marchandises, de matériel, de bétail, etc. En réaction à cela, la loi sur l’état d’urgence qui était destinée à combler « l’insuffisance des moyens de droit », selon l’exposé des motifs de la loi d’état d’urgence, est venue, en fait, habiller des pratiques déjà en vigueur comme les détentions arbitraires, les punitions collectives, les exécutions sommaires. En somme, il s’agissait d’un permis de tuer des Algériens, coupables de participation ou de sympathies avec la révolution, en toute impunité devant l’opinion publique internationale.
L’application de l’état d’urgence du 3 avril 1955 qui fut étendue, par le décret du 30 août 1955, à toute l’Algérie et complétée par une décision interministérielle du 3 septembre 1955, autorisait surtout les condamnations à mort d’office et à la chaîne des Algériens.
L’autorité coloniale voulait lui donner un caractère d’exemplarité et d’intimidation. Formule empruntée au décret créant les Sections spéciales par le régime de Vichy, en 1941.
Les premières peines capitales contre les moudjahidines arrêtés le 1er novembre 1954 étaient prononcées à cette date, notamment en juillet 1955 par les tribunaux militaires de Constantine contre Hadjar Saïd et trois autres, et d’Alger contre Babouche et Manseri. En décembre 1955 le tribunal militaire d’Oran prononcera également la peine capitale contre deux détenus dont Ali Cheriet.
Le choix de cet outil juridique se veut le moyen de contenir la révolution, autre que par des moyens militaires qui se sont avérés inefficients face à la détermination des Algériens encadrés par le FLN/ALN, pourtant dotés de moyens rudimentaires, mais d’une grande détermination à se libérer du joug colonial. Chez le colonisateur est née l’idée de démanteler l’organisation du FLN, en tant que symbole de lutte de libération, et de décourager les Algériens à y adhérer, afin de la couper de sa base populaire. Ce faisant, un travail de police est mené a travers les perquisitions, arrestations, interrogatoires, recherche de renseignements, contrôle des déplacements et agissements des individus considérés comme suspects… L’état d’urgence dote les autorités militaires et administratives de larges pouvoirs.
Mais, cette « loi de la terreur », s’est avérée incapable de contenir l’ampleur du mouvement révolutionnaire. L’offensive du 20 août 1955 avait déjà fait son œuvre déstabilisatrice auprès de l’ennemi colonialiste. Plus rien ne sera jamais plus comme avant. Les massacres qui ont suivi ces attaques ont projeté la question algérienne au-devant de la scène internationale, lors des débats des 28 et 29 juillet à l’Assemblée nationale qui ont démontré pour la première fois les tortures, la pratique généralisée des représailles collectives et les exécutions sommaires. Le colonel Zighoud Youcef, qui tombera au champ d’honneur en septembre 1956, a eu l’immense satisfaction d’avoir magistralement rempli sa mission de l’internationalisation du conflit. Le 30 septembre, la question algérienne fut inscrite à l’ordre du jour des Nations unies, la communauté internationale prit acte de la revendication de souveraineté nationale des Algériens.
La loi d’état d’urgence, elle, prenait fin en décembre 1955, avec la dissolution de l’Assemblée nationale française, qui eut pour conséquence de rendre caduque cette loi.

Djamel Belbey

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