28 août 1823 | L’ Abolition de l’esclavage par l’Empire britannique

Le 28 août 1833, l’esclavage fut aboli dans l’ensemble de l’Empire britannique, à la suite d’un décret du Parlement impérial qui entra en vigueur le 1 er août 1834. Chaque année, à cette date, cette journée qu’est devenu le Jour de l’Émancipation, les Canadiens célèbrent se commémoremt l’abolition de l’esclavage au sein de l’Empire britannique.
L’abolition de l’esclavage est, au Royaume-Uni, un processus qui trouve son aboutissement en 1833. Il s’explique notamment par l’émergence dès la fin du XVIIIe siècle d’un puissant mouvement abolitionniste, notamment dans les milieux non conformistes. L’État danois (alors associé au Royaume de Norvège) fut le premier à abolir officiellement la traite, en 1792.

Lithographie de 1815 conservée à la Bibliothèqe nationale de France légendée en français et en anglais à l’occasion du congrès de Vienne. On peut lire, en français : « Les Anglais faisans part aux Africains du Traité de paix des puissances alliées du 20 octobre 1815 sur l’abolition de la traite des noirs »
Le XVIIIe siècle se caractérisa par une recrudescence des révoltes d’esclaves dont le nom des leaders connut une postérité importante dans toute l’Europe. Makandal, chef des insurgés de 1748 à Saint-Domingue, Orookono, leader des marrons de Surinam où Moses Bom Saamp en Jamaïque sont autant de figures qui nourrirent le mythe du Spartacus.
La révolution haïtienne (1791 à 1804), première révolution anti-esclavagiste du continent américain, constitue le point d’orgue de cette « chaîne des insurrections ». Les noirs libres et les esclaves de la colonie française de Saint-Domingue se rebellèrent sous la direction de Toussaint Louverture puis de Jean-Jacques Dessalines, tous deux anciens esclaves émancipés. La République d’Haïti, proclamée en 1804, devint alors le deuxième État indépendant du continent après les États-Unis.
Au Royaume-Uni, c’est dans le sillage du renouveau religieux impulsé par le fondateur du méthodisme, le prédicateur John Wesley que le mouvement antiesclavagiste prit une ampleur déterminante : en 1774, la publication par Wesley de ses Thoughts on Slavery, encouragea les pasteurs méthodistes à réclamer avec force dans leurs sermons la disparition de la traite. Ainsi, le 30 novembre 1788, le pasteur James Dore condamna fermement la traite dans le sermon qu’il prononça à Maze Fond, à Southwark :
« Vous êtes des Hommes […], respectez l’humanité. […] Si vous êtes plus puissants que vos voisins, cela doit-il vous autoriser à les priver de leurs droits ? Vous êtes des Britanniques […]. Vous aimez la liberté. Est-il possible d’être britannique et de ne pas aimer la liberté ? Est-il possible d’aimer la liberté et de ne pas vouloir en même temps toujours qu’elle étende sa douce influence ? […] Oh! Angleterre, Angleterre, les mots cherchent à décrire les horreurs de ta condamnation. Finalement, vous êtes chrétiens, et comme tels, vous ne pouvez sans crainte justifier la traite. […] La loi royale, la première grande maxime de l’Évangile, demande de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’ils nous fassent. Est-il possible que les pauvres nègres embrassent joyeusement le christianisme en voyant ce que nous faisons? »
Des intellectuels soutinrent aussi par leurs écrits la cause antiesclavagiste, comme le poète William Cowper, très populaire à l’époque, auteur, cette même année 1788, de The Negro’s complaint (La Complainte du Noir) qui traite les Européens d’« esclaves de l’argent », « car comment pourrait-on se passer de sucre et de rhum ? / De sucre surtout, qui nous paraît absolument indispensable ! ». Ces divers premiers écrits abolitionnistes trouvèrent dans une population de plus en plus alphabétisée des lecteurs assidus et toujours plus nombreux.
THE NEGRO COMPLAINT – WILLIAM COWPER
Le Canada connut l’esclavage, mais peu. La majorité des esclaves du Canada était d’origine amérindienne. C’est donc dire que la traite des Noirs n’était pas aussi importante au Canada qu’elle l’était en Louisiane et dans les 13 colonies britanniques. Les 13 qui donneront naissances aux États-Unis d’Amérique suite à la guerre d’indépendance des États-Unis (1775 à 1783). Les Afro-américains, qu’ils fussent esclaves ou libres, participèrent à la guerre dans les deux camps, loyaliste et insurgé.
Le principal relais de l’action abolitionniste au niveau parlementaire fut William Wilberforce (1759-1833). Fils d’un riche homme d’affaires et jeune député méthodiste de l’entourage du Premier ministre William Pitt, il s’était déjà fait connaître par son implication dans la lutte contre le travail des enfants, mais il entra dans la postérité pour sa contribution à la lutte abolitionniste, dont il sut fédérer les partisans. Wilberforce put par exemple compter sur le soutien du prêtre John Newton, ancien trafiquant d’esclaves repenti et célèbre auteur d’hymnes (dont le fameux Amazing Grace), qu’il contacta dès 1785 et qui témoigna auprès du Privy Council en 1788 sur la réalité des conditions de la traite négrière.
Confronté à la violente opposition des planteurs, Wilberforce échoua d’abord en 1788, puis en 1791, à ce que la Chambre des Communes consente à abolir la traite, même si, en 1788, elle accorda aux esclaves une réglementation qui leur assurait davantage d’espace sur les navires négriers (Dolben Act). Par la suite, en 1792, Wilberforce trouva une majorité pour voter une abolition graduelle de la traite à l’exemple de ce qui avait été fait au Danemark, mais la décision fut différée du fait de l’opposition des Lords. L’importation d’esclaves est donc interdite dans le Haut-Canada (la province de l’Ontario), en 1793.
L’abandon de la traite fut obtenu au Royaume-Unis en 1807, celui de l’esclavage lui-même en 1833, notamment grâce à l’action de l’Anti-Slavery Society. Cependant, dans le souci de préserver l’équilibre économique des colonies antillaises britanniques, la loi opta pour une sortie graduelle de l’esclavage. Ainsi, pendant une période, variable selon les catégories d’individus, d’« apprentissage » de la liberté, les esclaves devaient fournir un travail non rémunéré à leur ancien maître. L’émancipation définitive et généralisée n’intervint que le 1er janvier 1838. Donc à Québec, malgré les efforts des anti-esclavagistes de la région de Montréal, il faudra attendre , au dernier ultimatum, jusqu’au 28 août 1833 pour que l’esclavage soit enfin aboli au Québec comme dans toutes les possessions britanniques.
La demande d’esclaves est forte encore à la veille de l’abolition de 1807. Dès lors, comment expliquer une telle décision, la mise à bas volontaire d’un système économique florissant ? Pourquoi la traite, hier acceptée avec bonhomie, était-elle devenue subitement, en quelques années, une pratique détestable, immorale et anti-chrétienne ? La Grande-Bretagne et les Britanniques eux-mêmes avaient changé. Comme le souligne James Walvin, « un véritable glissement tectonique s’était produit dans les soubassements de la société britannique, qui avait dessiné des évolutions majeures dans le domaine des sensibilités et des attitudes ». Au sein d’une population plus urbanisée, alphabétisée et éduquée, le développement de la dissension religieuse et des idées libérales avaient contribué au développement d’un véritable abolitionnisme populaire. Et plus concrètement, le manque de boulot parmi cette classe, la classe ouvrière Blanche inemployée, qui devait compétitionner travail et salaire avec une main-d’oeuvre soumise et gratuite est également un facteur important à la libération des esclaves Noirs.
Capture d’un navire négrier, le Emanuela, par un bâtiment de la Royal Navy, le HMS Brisk.
Capture d’un navire négrier, le Emanuela, par un bâtiment de la Royal Navy, le HMS Brisk.
L’abolition de l’esclavage dans ses colonies incita encore davantage l’État britannique à mener la politique de répression de la traite à l’échelle internationale qu’il avait initiée dès 1807. Le Royaume-Uni imposa ainsi petit à petit l’abandon de la traite à ses ennemis vaincus ou à ses alliés redevables, via des accords bilatéraux. Dans ce cadre, le British African Squadron, prit largement en charge pendant plusieurs décennies la chasse aux navires négriers au large des cotes africaines.
Si l’on en croit le futur amiral Roussin, l’investissement britannique était loin d’être négligeable. Selon David Eltis, 1 635 navires négriers de toutes nationalités furent saisis entre 1808 et 1867 sur un total estimé de 7 750 expéditions, soit un navire négrier sur cinq. De la sorte, plus de 160 000 esclaves furent soustraits à leur destinée de servilité sur le continent américain, dont près de 100 000 rejoignirent la Sierra Leone.
Vis-à-vis du Brésil, la pression britannique fut encore plus spectaculaire. L’Angleterre avait obtenu en 1831 le vote d’une loi brésilienne abolissant la traite. Mais l’absence d’application de cette loi amena les autorités britanniques à envoyer en 1850 la Royal Navy bombarder, couler et saisir des navires négriers dans les ports brésiliens eux-mêmes.
Les pressions britanniques sur l’Espagne, le Portugal et le Brésil durant les décennies 1840-1850 tarirent naturellement le commerce des esclaves à travers l’Atlantique, commerce qui devint marginal à partir des années 1860.
L’idée que le combat abolitionniste a facilité le développement de la domination occidentale sur l’Afrique via le colonialisme est un fait acquis. Mais les individus luttant pour la disparition de la traite, guidés en Grande-Bretagne par des principes évangéliques, étaient-ils conscients qu’ils ne faisaient que substituer un mode de domination à un autre ? Ont-ils délibérément choisi de sophistiquer, sans l’abattre, un système de domination de l’homme par l’homme?
« En transformant l’homme-marchandise en homme marchand, les Occidentaux ont intégré les peuples africains et d’autres peuples non occidentaux dans le marché mondial dont ils étaient les maîtres. C’est pourquoi l’analyse des phénomènes actuels de recolonisation, de sous-développement et d’appauvrissement peut être située dans la stricte continuité de phénomènes plus anciens et permanents » – Jean-François Zorn
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