26 août 1973 | Meurtre en Françafrique : Outel Bono, opposant tchadien, est abattu en plein Paris

Au petit matin du dimanche 26 août 1973, il y a 41 ans jour pour jour, Outel Bono, opposant tchadien, est abattu en plein Paris. Depuis plusieurs semaines il se sait en danger de mort, mais travaille à l’établissement d’une troisième voie politique au Tchad, entre le régime du parti-Etat de Tombalbaye et la rébellion du Frolinat.
Qui était Outel Bono ?
C’était un opposant politique au régime de François Tombalbaye (1960-1975), dirigeant tchadien soutenu par la France. Elève brillant issu d’une famille modeste du Sud du pays, Bono est rapidement repéré par l’administration coloniale. Envoyé en France dans les années 1950 pour poursuivre ses études, il passe son doctorat de médecine à Toulouse. Dans ces années-là, il rencontre la fine fleur de la jeunesse africaine engagée. Il dévore Marx et Mao, fonde un journal d’opposition (L’Etudiant tchadien), s’initie à la pensée anticolonialiste. De retour au Tchad en 1962, le médecin ne renonce pas au militantisme. Avec ses amis, il dénonce les dérives autoritaristes du pouvoir en place : parti unique, arrestation des opposants, culte de la personnalité. Il est incarcéré à plusieurs reprises, à la suite de procès très médiatisés qui contribuent à forger son aura. Persécuté par le régime, il s’exile en France en 1972.

Plan de reconstitution de l’assassinat, paru dans Jeune Afrique
Pourquoi et comment a-t-il été assassiné ?
Il a été abattu à Paris le 26 août 1973 de deux balles dans la tête, alors qu’il montait dans sa voiture, garée rue de la Roquette. Selon toute vraisemblance, il a été assassiné parce qu’il constituait une menace pour le régime de Tombalbaye. Le lendemain du meurtre, il devait présenter à la presse un nouveau parti d’opposition, le MDRT (Mouvement démocratique de rénovation tchadienne). Excluant tout recours à la violence, son programme contenait des mesures d’ouverture politique et de justice sociale.
A l’époque, Tombalbaye s’était lancé dans une fuite en avant autoritaire. Militairement, le principal danger pour le régime venait du Frolinat (Front de libération nationale), un mouvement indépendantiste marxisant soutenu par la Libye. Tombalbaye a d’ailleurs dû faire appel à l’armée française pour contrer les raids menés par le Front. Selon certaines sources, il semble que plusieurs cadres du Frolinat étaient décidés à rejoindre le nouveau parti d’Outel Bono. Harcelé militairement par le Frolinat, Tombalbaye n’avait aucune envie d’être confronté à une opposition politique revigorée.
Qui a tué Outel Bono ?
L’assassinat a très certainement été orchestré par le régime tchadien. Tombalbaye aurait d’ailleurs proféré, en privé, des menaces de mort à l’encontre de Bono. Le meurtrier pourrait être un Français, Claude Bocquel. Ancien CRS et excellent tireur, Bocquel concentre sur lui tous les soupçons : il possède une voiture semblable à celle du fuyard de la rue de la Roquette, une arme similaire à celle qui a fait feu, et il a déjà été employé par le régime tchadien pour mener des «coups» en France. Il avait notamment été chargé de préparer l’enlèvement d’un leader du Frolinat.
Pour se convaincre de sa culpabilité, il suffit de lire les rapports établis par les policiers français de l’époque, qui avaient retrouvé sa piste. Pourtant, Bocquel n’a jamais été inquiété… Pourquoi ? La réponse au mystère s’appelle peut-être Camille Gourvennec. Ancien officier des services secrets français, il avait monté au Tchad une police politique redoutablement efficace. Mais il gardait d’étroites relations avec Paris : Jacques Foccart, le «monsieur Afrique», l’a d’ailleurs reçu à sa table l’année du meurtre de Bono. Gourvennec était un maillon essentiel du dispositif franco-tchadien de Foccart. Il est très probable que ce soit lui qui ait téléguidé Bocquel. L’Elysée s’en doutait, mais n’avait aucune envie d’étaler ses secrets de famille au cours d’un procès…
Source: LiberationAfrica24
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