1 août 1885 | La naissance de l’état indépendant du Congo (RDC)

Après avoir retrouvé Livingstone à Udjidji (situé sur le bord est du Lac Tanganyika) le 9 novembre 1871 pour le compte du New York Herald, au grand dam de la Royal Geographical Society (la société anglaise de l’exploration de l’Afrique), H.M.Stanley donne le départ en novembre 1874 à Bagamoyo (près de Dar-es-Salaam) d’une nouvelle expédition, créée à Zanzibar et ayant comme première destination le Lac Victoria, dans le but de cartographier les grands lacs de l’Afrique Centrale.

Avant l’arrivée des explorateurs Occidentaux, l’Afrique Centrale était déjà traversée d’est en ouest par des routes de caravanes commerciales. D’autre part, les bateaux de mer n’allaient pas beaucoup plus loin que Banana sur le fleuve Congo, c’est à dire qu’ils restaient au niveau de son embouchure.

Le commerce transatlantique d’esclaves au départ de l’embouchure du Congo vers les Caraïbes et le Brésil a cessé aux environs de 1862. Cela n’empêchait pas des factoreries, présentes dans le Bas Congo dans les années 1870 et exportant des produits tels que café, arachides, huile de palme et sucre, de continuer à utiliser cette main d’oeuvre servile.

L’expédition Stanley atteignit le Lac Victoria en 1875, les Stanley Falls, le StanleyPoolKinshasa et enfin Boma en août 1877. En un peu moins de 3 ans Stanley et son expédition parcoururent 11000 km dont une grande partie à suivre le cours du fleuve Lualaba se prolongeant par le fleuve Congo, jusqu’à son embouchure. Cet exploit fut malheureusement entaché d’exactions et de pillages et ne faisait qu’annoncer la couleur de ce qui allait suivre.

Une quinzaine d’années auparavant, en Belgique, le Duc de Brabant fils du roi Léopold I, vantait les mérites de la colonisation. Celle-ci avait déjà été tentée au Guatemala dans les années 1840 par Léopold I, mais s’était rapidement terminée de manière tragique. Il rêvait de s’approprier les richesses de ces contrées lointaines : “Au Japon, il y a des richesses incroyables. Le trésor de l’Empereur est immense et mal gardé…la masse d’argent accumulée là-bas est telle que si l’Europe en avait connaissance, on organiserait de suite une expédition pour s’en emparer”. (Extrait d’une lettre adressée au diplomate belge de Jonghe d’Ardoye, datée du 23 mars 1859).

Le duc de Brabant était aussi un fervent admirateur du “système des cultures” mis en application à Java par les Hollandais. Ce système était à l’origine d’un important excédent budgétaire en faveur de l’administration coloniale, contrairement aux autres régimes coloniaux européens qui profitaient principalement aux secteurs privés. Ce système génial, selon le futur roi, consistait à non seulement acheter le produit des plantations à un prix fixé arbitrairement, mais aussi à mettre en place des fonctionnaires qui obtenaient des primes en fonction de la production. Le système colonial hollandais abolit ce type de cultures gouvernementales en 1870. Un autre allait le perpétrer.

En août 1875, dix ans après son accession au trône, le roi Léopold II, voyant que toute possibilité de colonisation en Extrême-Orient lui échappait, concentra son attention sur l’Afrique. Il ne lui restait plus qu’à trouver le moyen, selon ses propres termes, de s’approprier une part du magnifique gâteau africain. Ce moyen il le trouva entre autre en créant l’Association Internationale Africaine (AIA) d’exploration et de civilisation de l’Afrique Centrale lors d’une Conférence Géographique organisée au Palais Royal à Bruxelles en septembre 1876. Un grand nombre de personnalités dont des explorateurs, des militaires et des membres de sociétés géographiques et philantropiques des 4 coins d’Europe vinrent acclamer le roi pour la création de ce mouvement civilisateur. L’admirateur du travail forcé et du profit se muait en philanthrope.

Dans le sillage de l’AIA, d’autres associations furent créées comme le“Comité d’Études du Haut Congo” qui sera remplacé par ” l’Association Internationale du Congo”(1878). Ces associations avaient toutes le même président (le colonel Maximilien Strauch), la même bannière (étoile dorée sur fond bleu) et les mêmes prétendus objectifs humanitaires tels que l’abolition de l’esclavage. En réalité, elles allaient permettre au roi d’intensifier sa conquête du bassin du Congo par l’entremise de Stanley dont il s’était approprié les services à partir de 1878. Ce dernier allait fonder plusieurs stations le long du fleuve depuis son embouchure jusqu’au Stanley Pool où il créa à son extrêmité Ouest un quatrième poste qu’il baptisa Léopoldville, le 1er décembre 1881.

En plus d’un travail de reconnaissance, de création de poste, d’assemblage de bateaux à vapeur, Stanley se devait d’obtenir par n’importe quels moyens des contrats d’exclusivité avec les chefs autochtones. C’était en fait des contrats d’exploitations de leurs terres par l’AIC et même pire : ces “traités” cédaient à l’association créée par le roi, la souveraineté de leurs territoires et permettaient à l’AIA de proclamer ces territoires “états libres”. Dès 1882, des affrontements entre ces postes et les populations engendrèrent des répressions sanglantes de la part des groupes armés de Stanley et des agents de l’AIC.

Une véritable course à la conquête avait lieu. C’était à qui serait le plus prompt à planter son drapeau. Stanley n’était pas le seul à explorer la région : les Français pas l’entremise de de Brazza étaient au Nord. Les Portugais, arrivés en 1493 à l’embouchure du fleuve, attendaient qu’on leur reconnaisse le droit de souveraineté sur le Bas Congo. Wissmann, un explorateur allemand bien qu’ayant exploré le bassin du Kasai pour le compte de Léopold II, espérait que cette région allait revenir à son pays. Enfin Cameron, sujet de Sa Majesté britannique, lorgnait tout autant sur la région.

Parallèlement à ces expéditions, des missions catholiques et protestantes faisaient le forcing pour y établir leurs quartiers.

Les antagonismes entre les puissances coloniales telles l’Angleterre, la France, l’Allemagne et le Portugal auront servi sans aucun doute à la reconnaissance de l’AIC de Léopold II et de ses “territoires indépendants”. Dans un premier temps, et ce, via l’entremise d’un certain Sanford, diplomate américain à la solde du roi des Belges, les États-Unis reconnaîtront les premiers en 1884 la souveraineté de l’AIC sur ces “états libres du Congo”.

Ensuite, la Conférence de Berlin (1884 -1885), où Banning et Lambermont étaient les représentants belges, approuvait un Acte imposant dans le bassin du Congo la liberté de commerce et de navigation, interdisait tout monopole et promulguait l’abolition de l’esclavage, la protection des Africains et des missionnaires chrétiens. Celui-ci prévoyait également la création d’une Commission Internationale qui devait intervenir lors de conflits ou de litiges se rapportant à l’Acte.

Le partage du bassin conventionnel du Congo ne se fit pas à la conférence de Berlin. Il se fera néanmoins sur le terrain à partir de ce moment. Après les États-Unis, Bismarck d’abord, les Anglais ensuite reconnaîtront l’AIC et sa souveraineté. Peu après, en février 1885, des accords entre la France et l’AIC et entre cette dernière et le Portugal permettront de délimiter en partie leurs territoires respectifs sur cette vaste étendue d’Afrique Centrale. En quelque sorte, la création d’une zone internationale à caractère commercial et neutre, propriété d’un “roi philanthrope”, déjà souverain d’une petite nation, arrangeait les affaires des puissances qui s’arrachaient le continent africain.

En 1885, le 1er août, l’État Indépendant du Congo (EIC) était né, et le roi Léopold II en assumait le titre de souverain grâce au vote au parlement belge lui permettant d’assumer cette fonction. L’intervention d’Auguste Beernaert en tant que Premier ministre aura été primordiale pour l’obtention de ce résultat. En effet, la reconnaissance par les puissances de la souveraineté de l’AIC sur des territoires en Afrique Centrale créait la surprise en Belgique puisque cette entreprise avait été réalisée fort discrètement par le roi. Et les avis étaient mitigés.

Il faut aussi savoir qu’en Belgique aux environs des années 1880, l’activité industrielle était florissante, aux dépens principalement de la classe ouvrière. En 1882, 42% de la population était analphabète. Un petit pourcentage seulement des hommes pouvait voter et ce en fonction de l’impôt payé.

Le gouvernement central de l’EIC s’installa à Bruxelles l’année de sa création. Trois départements le composaient : les Affaires Intérieures (Maximilien Strauch), les Affaires Étrangères (Edmond Vaneetvelde) et enfin le Département des Finances (Hubert Vanneuss). Il fallait bien entendu financer cette administration, et là aussi l’état belge intervint à plusieurs reprises : en 1888, un décret fut voté pour permettre l’émission en Belgique d’un emprunt à lots de 150 millions de francs qui rapportèrent en 1888 et 1889 23 millions dont 7,5 millions furent versés au roi qui garda 5,5 millions pour se rembourser de ses investissements congolais réalisés depuis 1876 dont le montant est estimé à 17,5 millions. Les autres 2 millions étaient déposés dans le trésor de l’EIC. On vota une autre loi qui impliquait une participation de 10 millions de francs de l’état belge dans le capital de la Compagnie du Chemin de Fer du Congo.

D’autre part, fait extrêmement important, sous l’impulsion de Beernaert, le parlement vota en 1890 une convention entre la Belgique et l’EIC. Celle-ci allait lier le sort futur du Congo à la Belgique, en tous les cas pour de nombreuses années. Moyennant un prêt sans intérêt de 25 millions de francs étalé sur 10 ans, la Belgique obtenait la possibilité d’annexer le Congo en 1900. De cette somme, 5 millions étaient versés immédiatement au roi. Il en garda la moitié pour son remboursement. Enfin, un dernier subside de 6.850.000, éventuellement remboursable à l’état belge, était octroyé à l’EIC en 1895. Ainsi le gouvernement belge dirigé par Auguste Beernaert reconnaissait la souveraineté de Léopold II sur “l’Etat indépendant du Congo”, et il lui fournissait également un terrain propice à la réalisation de son entreprise coloniale.

A partir de 1886, le commandement sur le fleuve Congo allait être confié pour la première fois à un Belge, Camille Janssen qui deviendra gouverneur général l’année suivante. Dès ce moment, de nombreux postes de cadre reviendront à des militaires belges mis à la disposition du roi par le Ministère de la Guerre. Les Scandinaves représenteront la plus grande partie du contingent occidental non belge.

L’Acte de Bruxelles naquit en 1890 après la convocation d’une conférence initiée par le 1er ministre britannique. Il concernait la suppression du commerce d’esclaves par terre et par mer en Afrique et au Moyen-orient, et limitait l’importation en Afrique de boissons alcoolisées et d’armes à feu. Cet Acte arrangeait bien entendu Léopold II puisqu’il renforçait ses initiatives “humanitaires” et donc sa pénétration en Afrique Centrale. En effet, une vaste zone à l’Ouest du Lac Kivu était sous l’influence depuis des années des Swahilis, originaires de la côte est (actuel Kenya et Tanzanie). Le commerce d’esclaves faisait partie de leurs diverses activités de négoce. Enfin, une dérogation à l’Acte de Berlin, permettait la levée de droits d’entrée dans le bassin conventionnel du Congo.

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