26 Juin 2003 | Marc-Vivien Foé: Un destin brisé

D’abord, il y a cette image, terrible, du joueur au sol, les yeux révulsés, le souffle court, la poitrine haletante. Là, il y a quelques secondes à peine, Marc-Vivien Foé – Marco pour tous – s’est écroulé seul, sans le moindre contact, sur le gazon de Gerland, à Lyon. Sa pelouse, son stade, sa ville. Conscient de la situation, Mario Yepes, le défenseur central colombien du FC Nantes, fait signe à Éric Djemba-Djemba, son coéquipier chez les Canaris. Winfried Schäfer, le sélectionneur allemand des champions d’Afrique 2002, procède dans la foulée au changement. Valéry Mezague (lequel décédera lui aussi d’une attaque cardiaque, en France, onze ans plus tard) entre, tandis que Foé est évacué sur une civière vers l’antenne médicale du stade. Il y a déjà plus d’une heure que les Lions Indomptables mènent à la marque, grâce à un but de Pius N’Diefi (9e).

La visite de Sepp Blatter


Ce jeudi 26 juin 2003 de funeste mémoire, la rencontre se termine par la victoire du Cameroun, synonyme de qualification pour la finale. Mais un drame s’est joué au même moment, sans que supporters, téléspectateurs, amis, coéquipiers ou parents n’en aient conscience : la vie s’est enfuie de Marc-Vivien Foé, à 20h20 selon le rapport de la FIFA. Le cœur de l’ancien joueur du Canon de Yaoundé s’est arrêté de battre malgré un traitement de réanimation. Les Camerounais, qui remontent le tunnel de Gerland en direction des vestiaires, tombent sur un Roger Milla en pleurs. «Marco a rendu l’âme», lâche-t-il, la voix déchirée par les sanglots. À 20h30, le docteur suisse Alfred Müller, médecin officiel de la FIFA délégué à Lyon pour le tournoi, se charge d’annoncer officiellement la triste nouvelle. Le vestiaire, déjà, n’est plus que larmes et incompréhension.
Marie-Louise, sa jeune veuve, a demandé à ses coéquipiers de jouer la finale pour lui
Foé, qui venait d’en terminer avec une saison formidable à Manchester City, était le symbole de l’ambition retrouvée du Cameroun. Rapidement douchés, les joueurs s’engouffrent dans le car et regagnent L’Étrat, en périphérie de Saint-Étienne, où ils logent, dans un silence pesant, entre recueillement et douleur. Très vite, entre eux, les Camerounais évoquent cette finale à venir contre les Bleus de Thierry Henry qui les attend au Stade de France. Mais des voix s’élèvent : pas question de la jouer! Sepp Blatter, le président de la FIFA, se rend le lendemain à la base d’entraînement des Lions Indomptables pour présenter ses condoléances à l’équipe. Enceinte de leur troisième enfant, Marie-Louise, la jeune veuve de Marco, demande à ses amis et frères de foot de jouer. Parce que c’est cela que Marco aurait voulu.


Une extrême fatigue


Même affaibli pendant la compétition, le maître à jouer de l’équipe, son leader, avait assuré. Titulaire lors des deux premières sorties du Cameroun dans le tournoi, contre le Brésil (1-0), puis la Turquie (1-0), Marco Foé est sorti peu après l’heure de jeu lors de ce dernier match. Il n’a pas été utilisé contre les États-Unis (0-0) à Lyon, son pays étant déjà qualifié pour la demie. Ce qui nous avait alors frappé, en échangeant avec lui lors de ce premier tour où il avait rayonné dans le jeu, c’était son extrême fatigue physique, lui qui souffrait de diarrhées et ne s’en était pas caché. Il était d’ailleurs sous traitement pour combattre ce souci. Retour à Dardilly, en banlieue lyonnaise, dans le pavillon des Foé où Marie-Louise, son épouse, reçoit tout le groupe, mais également Blatter et le président de la Confédération africaine de football (CAF), le Camerounais Issa Hayatou. Les Lions prennent la décision de jouer la finale, trois jours après le décès brutal de leur ami. Ils regagnent Paris le samedi dans la journée par le train, et s’installent au CNR de Marcoussis, qui abrite d’ordinaire le quinze de France. Parmi les plus affectés, le capitaine, Rigobert Song. Son frère, avec lequel il a débuté en 1993. Samuel Eto’o, qui a regagné l’Espagne pour disputer avec Majorque la finale de la Coupe du Roi contre le Recreativo Huelva (3-0, doublé de l’attaquant camerounais), revient tout spécialement à Paris pour être du match.


Des obsèques nationales au Cameroun


Dimanche 29 juin, Stade de France. Au moment de l’échauffement, l’intégralité du groupe camerounais arbore une tenue d’entraînement floquée du numéro 17. Celui que portait Foé. Song tient un portrait géant de son ami. Sur le terrain, les Lions Indomptables jouent crânement leur chance. «Nous sommes en mission», avait prévenu Song. Ils tiennent même en échec les Bleus jusqu’à la fin du temps réglementaire. Eto’o est entré après l’heure de jeu, l’espoir est réel. Mais, très vite, Thierry Henry marque le but en or pendant la prolongation (1-0, 97e) et offre la Coupe des Confédérations à l’équipe de France, la deuxième de son histoire. Quelques instants plus tard, Marcel Desailly pose aux côtés de Song, trophée en main, entouré des Bleus.

Marc-Vivien Foé sera finalement enterré quelques jours plus tard, le 7 juillet, au Cameroun, lors d’obsèques nationales. L’autopsie conclura à une mort naturelle, due à une hypertrophie cardiaque congénitale. Foé, qui avait fêté fin mai ses vingt-huit ans, était la simplicité personnifiée, un homme authentiquement généreux. Cinq mois plus tard, le 11 novembre 2003 au stade de Gerland, là où le drame s’est noué, un match organisé par l’ancien défenseur Basile Boli regroupera d’anciens coéquipiers en clubs et la sélection camerounaise. Un proverbe camerounais résumera dès lors le sentiment de tous : «Un lion ne meurt jamais, il dort…»

 

De Frank Simon

 

Article d’abord publié sur France Football

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