23 Mai 1963 | Hailé Sélassié prononce un discours lors de la Journée d’Ouverture de l’OUA

DISCOURS PRONONCEE LORS DE LA JOURNEE D’OUVERTURE DE L’ORGANISATION DE L’UNITE AFRICAINE LE 23 MAI 1963 A ADDIS-ABEBA.
“Au nom du Gouvernement et du Peuple éthiopiens, ainsi qu’en Notre nom personnel, nous souhaitons la bienvenue aux Chefs d’Etats et de Gouvernement des Etats Indépendants d’Afrique, qui se trouvent assemblés aujourd’hui en cette réunion solennelle dans la capitale éthiopienne. Cette Conférence, sans précédent dans l’histoire, est un témoignage sans pareil du dévouement et de l’attachement que nous tous portons à la cause de notre continent et à celle de ses fils. Ceci est certainement un moment historique pour l’Afrique et pour tous les Africains.
Le monde entier a aujourd’hui les yeux tournés vers nous. Nous nous sommes réunis pour affermir notre rôle dans la conduite des affaires du monde, et pour accomplir notre devoir envers ce grand continent, dont nous avons la responsabilité de ses deux cent cinquante millions d’habitants. L’Afrique se trouve aujourd’hui à mi-chemin, en transition de l’Afrique d’hier à l’Afrique de demain. Même à l’heure où nous sommes, nous nous acheminons du passé vers l’avenir. La tâche que nous nous sommes donnée: celle de bâtir l’Afrique, n’attendra pas. Nous devons travailler pour façonner et mouler notre avenir en marquant les événements qui passent à l’histoire.
Nous cherchons dans cette rencontre à établir où nous allons, et, tracer ainsi le chemin de notre destinée. Il n’est pas moins important de savoir aussi d’où nous venons. La connaissance de notre histoire est indispensable pour établir notre personnalité et notre identité d’Africains.
Le monde n’a pas été fait par morceaux. L’Afrique n’a pas été créée ni plus tôt, ni plus tard qu’aucune autre région géographique de ce globe. Les Africains possèdent tous les attributs humains, ni plus ni moins, que les autres hommes. Ils en ont les talents, les vertus, aussi bien que les défauts. Il y a quelques milliers d’années, des civilisations prospères ont existé sur ce continent. Celles-ci n’étaient en rien inférieures à celles qui existaient alors dans d’autres continents. Les Africains étaient politiquement libres et économiquement indépendants. Ils avaient leur propre structure sociale, et leurs cultures étaient véritablement autochtones.
Pendant ce temps là d’autres hommes dans d’autres lieux ne s’occupant que de leurs propres affaires croyaient dans leur ignorance, que le monde commençait et finissait à leur propre horizon. L’Afrique continuait à se développer dans sa propre structure avec une existence propre, jusqu’au jour où elle réapparut au monde au cours du 19e siècle.
Nous n’avons point besoin de Nous étendre sur les événements des cent cinquante dernières années. La période coloniale culmina par la mise en chaîne et l’asservissement de notre continent. Nos peuples, autrefois fiers et libres, furent réduits en esclavage et humiliés. L’Afrique fut elle-même déchiquetée et découpée aux moyens de frontières arbitrairement établies. Au cours de ces tristes années là, plusieurs d’entre nous furent écrasés sur les champs de bataille, ceux qui échappèrent à la conquête, purent y arriver seulement au voix de leur sang et d’une résistance farouche.
L’Afrique n’était qu’un simple réservoir de ressources naturelles à exploiter. Les Africains, un troupeau dont on pouvait disposer physiquement, ou dans le meilleur des cas, des gens à être réduits à l’esclavage et à la domesticité. Elle était le marché des produits des autres nations, et aussi, la source des matières première qui alimentaient leurs industries.
Aujourd’hui, l’Afrique est sortie de cette sombre période. Elle vient de renaître comme un continent libre, et les Africains comme des hommes libres. Le sang qui a été versé et les souffrances éprouvées sont les meilleurs gages de notre liberté et de notre unité. Quel que soit le lieu de notre rencontre, c’est avec respect que nous nous souviendrons de tous ces Africains qui refusèrent d’accepter le jugement passé contre eux par les colonialistes et les impérialistes, de tous ceux qui eurent espoir, sans faiblir, dans les moments les plus sombres, en une Afrique libérée de toute servitude politique, économique et spirituelle. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais mis les pieds sur ce continent. D’autres, au contraire, y sont nés et y sont morts. Ce que nous pouvons dire aujourd’hui ne peut ajouter grand-chose aux exploits héroïques de ceux qui, par leur exemple, nous ont montré la grandeur de la liberté et de la dignité humaines, sans lesquelles la vie elle même n’a plus une très grande signification. Leurs actes restent gravés dans l’histoire.
La lutte n’est pas encore terminée. Des résistances restent encore à vaincre. Nous proclamons aujourd’hui, que notre plus grande tâche reste la libération définitive de tous nos Frères Africains qui se trouvent encore sous le joug de l’exploitation et du contrôle étrangers. Avec cet objectif en vue et la victoire certaine à notre portée, ne nous laissons pas égarer ni traîner, ni laisser aller. Maintenant que la lutte approche de sa fin, que nous avons tant gagné et presque réalisé notre but, nous devons presser, en leur nom, leur accession pacifique à l’indépendance. Nous devons présenter un front commun avec eux et faire de leur lutte notre propre lutte. Nous trahirions la cause de leur libération, si nous n’appuyons pas nos paroles par des actes. Nous disons à eux: vos blessures ne resteront pas sans soins: toutes les ressources de l’Afrique et de toutes les nations aimant la liberté sont assemblées pour vous servir. Tenez bon, votre délivrance est proche.
Au moment où nous renouvelons notre engagement de libérer toute l’Afrique, prenons aussi la résolution que les vieilles blessures seront soignées et les vieilles querelles oubliées. C’est ainsi que l’Ethiopie a traité ses envahisseurs il y a peu près vingt-cinq ans. Cette attitude a valu aux Ethiopiens la paix et l’honneur. Le souvenir des injustices passées, ne devrait pas nous faire perdre de vue les problèmes urgents qui se posent à nous. Nous devons vivre en paix avec nos anciens colonisateurs. Soyons exempts de récrimination et d’amertume. Renonçons à la futilité de la vengeance et des représailles. Débarrassons-nous de tout sentiment de haine, qui ne peut que miner nos âmes, et empoisonner nos cœurs. Agissons comme il sied à la dignité que nous réclamons pour nous mêmes en temps qu’africains, fiers de nos qualités propres, de nos distinctions et de nos capacités. Nous devons faire l’effort, en temps qu’hommes libres pour établir des relations nouvelles, exemptes de tout ressentiment et de toute animosité. Nous devons réaffirmer notre croyance et notre foi en nous-mêmes en temps qu’individus, pour traiter avec les autres hommes, également libres, sur une base de parfaite égalité.
Aujourd’hui nous envisageons l’avenir avec calme, confiance et courage. Bien plus, nous n’entrevoyons plus une Afrique simplement libre, mais unie. En relevant ce nouveau défi nous pouvons nous baser et être encouragés par les leçons du passé. Nous savons qu’il y a des différences entre nous. Les Africains possèdent de cultures différents, des valeurs propres, des attributs particuliers. Mais nous savons aussi, et nous avons là des exemples, que l’unité peu être réalisée entre hommes d’origines les plus diverses, que la différence de race, de religion, de culture, de tradition ne constituent pas des obstacles insurmontables pour l’union des peuples. L’histoire nous apprend que l’unité fait la force, et nous convie à mettre de côté nos différences, de les surmonter, dans la recherche d’objectifs communs, de lutter avec nos forces unies, dans la voie de la véritable fraternité et unité africaine.
Il y a de ceux qui prétendent que l’Unité Africaine est impossible, que les forces qui nous tiraillent les uns dans une direction, les autres dans l’autre, sont tellement puissantes qu’elles ne peuvent être surmontées. Autour de nous, les critiques ne manquent pas. Il y a aussi de ceux qui parlent de l’Afrique, de son avenir et de sa position au vingtième siècle d’une voix d’outre-tombe. Ils prédisent la discorde entre nous, des querelles intestines, le chaos et la désintégration dans notre continent. Prouvons le contraire à ceux-là et déconcertons-les par nos actions. Il y a de ceux, au contraire, qui ont grand espoir dans les destinées de l’Afrique. Ils regardent le visage haut, pleins de respect et d’étonnement à l’avènement d’une vie nouvelle et plus heureuse, qu’ils ont contribué d’ailleurs à réaliser par leur dévouement. Ils sont animés par l’exemple des leurs à qui ils doivent les réalisations du passé de l’Afrique. Récompensons ceux-ci de leur confiance et soyons dignes de leur approbation.
La route de l’Unité Africaine est déjà marquée de jalons. Les dernières dix années sont riches en réunions, conférences, déclarations et résolutions. Des organisations régionales ont été établies. Des groupements locaux divers, fondés sur des communautés d’intérêts, d’histoire et de traditions, ont été crées.
Mais à côté de cela dans tout ce qui a été dit, écrit ou fait au cours de ces dernières années, il y a un thème commun. L’unité a été acceptée comme étant l’objectif à atteindre. Nous discutons sur les moyens et sur les différentes méthodes pour y parvenir. Nos débats tournent autour de techniques et de tactiques. Mais quand tout cela est mis de côté, nos différences sont réduites à peu de choses. Nous sommes résolus à créer l’unité des Africains. A vrai dire, notre continent n’est pas encore fait. Il attend sa construction et ceux qui doivent la bâtir. C’est notre privilège de réveiller ce géant, mais non point au nationalisme de l’Europe du 19e siècle, non point à une conscience régionale, mais à la poursuite d’une fraternité africaine unique, déployant ses efforts unis vers l’accomplissement d’un plus grand et d’un plus noble idéal.
Nous devons éviter, avant tout, de ne pas tomber dans les pièges du tribalisme. Si nous sommes divisés entre nous sur une base tribale, c’est une invitation à l’intervention étrangère avec toutes les conséquences néfastes que cela comporte. Le Congo est une preuve évidente. Il ne faut pas nous laisser leurrer par l’amélioration actuelle de la situation de ce pays-là. Le Peuple Congolais a énormément souffert, et le développement économique du pays a été fortement retardé à cause des luttes intestines.
Tout en reconnaissant que l’avenir de ce continent, en dernier lieu, réside dans une union politique, nous devons reconnaître aussi que les obstacles a surmonter pour y parvenir sont nombreux et difficiles. Les Peuples d’Afrique n’ont pas acquis leur indépendance dans les mêmes conditions. Ils possèdent des systèmes politiques différents. Nos économies sont différentes et nos systèmes sociaux fondés sur des cultures et des traditions diverses. D’autre part, il n’existe pas d’accord sur le comment, ni sur le contenu de cette union. Sera-t-elle dans sa forme fédérale, confédérale, ou unitaire? La souveraineté de chaque pays sera-t-elle diminuée, et dans ce cas là, dans quelle mesure et dans quel domaine? Si nous attendons d’arriver d’abord à un accord sur ces points et sur d’autres questions similaires, plusieurs générations se passeront avant d’avoir progressé, alors que le débat continue à faire rage.
Nous ne devons pas être découragées de ne pas parvenir à une union complète du jour au lendemain. L’union que nous cherchons à réaliser ne peut qu’arriver graduellement. Les progrès que nous réalisons chaque jour nous amèneront lentement mais sûrement à cette voie là. A ce propos nous avons les exemples des Etats-Unis et de l’U.R.S.S. Rappelons-nous de tout le temps que cela leur a pris. Nous pouvons construire un édifice solide, simplement si la fondation est forte, le constructeur capable et les matériaux convenables.
Par conséquent, une période de transition est inévitable. Des relations et des arrangements anciens peuvent encore continuer pendant un certain temps. Des organisations régionales peuvent remplir des fonctions et des besoins qui ne pourraient l’être autrement. Mais ce qu’il y a de différent ici, c’est que nous reconnaissons ces situations pour ce qu’elles valent, c’est à dire comme des succédanés et expédients temporaires, dont nous nous servons jusqu’au jour où nous aurons réalisé les conditions qui rendront possible l’unité africaine totale à notre portée.
Toutefois, nous pouvons faire beaucoup pour accélérer cette transition. Il y a des questions pour lesquelles nous nous trouvons unis. Il y a des problèmes pour lesquels les Africains sont unanimes. Profitons au maximum de ces domaines où nous sommes d’accord. Poursuivons une action qui tout en tenant compte des réalités présentes, constitue néanmoins un progrès sûr et certain dans la voie qui nous est tracée par le destin. Nous croyons tous, quel que soit notre système politique interne, du principe de l’action démocratique. Appliquons-le dans l’unité que nous cherchons à réaliser. Elaborons nos propres programmes dans tous les domaines politique, économique, social et militaire. Ceux qui s’opposent au développement de l’Afrique, ceux dont l’intérêt serait mieux servi par un continent divisé et balkanisé, seraient trop heureux de voir le triste spectacle de trente et plus Etats Africains, ainsi divisés, paralysés par des controverses sur des objectifs à long terme, incapables de joindre même leurs efforts sur des mesures à court terme où il n’y a pas de disputes. Ne donnons pas raison ni courage à ceux-là. Si nous agissons ensemble, là où nous pouvons, dans les domaines où l’action est possible, la logique même des programmes que nous adopterons, nous amènera encore plus près, inévitablement, dans le sens de notre union finale.
Les commentateurs de 1963 discutant de l’Afrique, parlent des Etats de Monrovia, du Groupe de Brazzaville, des Puissances de Casablanca, de la Chartre de Lagos, de la Déclaration de Conakry et ainsi de suite. Mettons fin à tous ces termes. Ce dont nous avons besoin c’est une seule organisation africaine, par laquelle l’Afrique puisse faire entendre une seule voix. Une organisation où l’on puisse étudier et résoudre les problèmes de l’Afrique et qui puisse nous procurer des moyens acceptables permettant de résoudre d’une façon pacifique les disputes entre les Africains, une organisation où l’on puisse examiner et adopter des mesures assurant une défense commune, et où des programmes de coopération dans les domaines économiques et culturels puissent être élaborés. Créons au cours de cette Conférence, une seule organisation à laquelle nous appartiendrons et qui sera fondée sur des principes que nous acceptons tous. Nous pouvons être confiants, que dans ces délibérations nos voix auront leur poids, car nous serons assurés que les décisions qui y seront prises, seront dictées seulement par des Africains, et, qu’elles le seront en tenant compte des considération qui sont vitales pour l’Afrique.
Nous sommes réunis ici pour jeter les bases de l’Unité Africaine. Nous devons par conséquent, ici même et aujourd’hui nous mettre d’accord sur l’instrument de base qui constituera le fondement du développement futur de ce continent dans la paix, dans l’harmonie et dans l’unité. Parlons désormais, dans toutes nos rencontres, de réalisations concrètes. Ne remettons pas pour l’examen à une date ultérieure le seul instrument, la seule décision, qui doit être le résultat de cette réunion, si celle-ci doit avoir une signification véritable. Cette Conférence ne peut se terminer sans l’adoption d’une Charte Africaine unique. Nous ne pouvons pas nous séparer sans créer une seule organisation africaine, possédant les attributs que nous avons décrits. Si nous ne réussissons pas en cela, de prendre nos responsabilités, nous aurons manqué à nos responsabilités envers l’Afrique et envers nos peuples. Si nous réussissons, au contraire, alors seulement notre rencontre aura été pleinement justifiée.
L’organisation dont il s’agit doit avoir une structure bien articulée et permanente, avec un secrétariat efficace capable d’assurer les liaisons nécessaires entre les réunions des institutions permanentes. Des institutions spécialisées doivent être prévues pour remplir certaines tâches qui sont assignées à l’organisation dans certains domaines bien définis. Si la liberté politique pour laquelle nous avons longtemps lutté n’est pas appuyée et renforcée par un développement économique et social correspondant, le souffle de vie qui soutient aujourd’hui notre liberté pourrait s’arrêter. Dans nos efforts pour améliorer le niveau de vie de nos populations et de mettre en relief notre indépendance, nous comptons sur l’assistance et l’appui des autres. Ceux-là seuls ne suffisent pas. Et, à moins de les complémenter par nos propres efforts, nous ne ferons que perpétuer la dépendance de l’Afrique.
Il est nécessaire ainsi, d’avoir un organisme spécialisé pour faciliter et coordonner sur un plan continental les programmes économiques et pourvoir au mécanisme pour répartir l’assistance économique entre les Pays Africains. Des mesures rapides peuvent être adoptées, pour accroître les échanges et le commerce entre nos pays. L’Afrique est riche en ressources minières, nous devrions coopérer à son développement. Nous avons besoin d’élaborer un programme de développement africain, qui contiendra des dispositions invitant chaque pays à se concentrer dans des activités productives pour lesquelles ses ressources, ses conditions climatiques et géographiques sont les mieux adaptées. Nous pensons que chacun de nos pays possède un plan de développement propre. Ce qui nous reste à faire c’est donc de nous réunir pour partager nos expériences dans l’élaboration d’un plan sur des bases continentale.
Les voyages ainsi que les communications télégraphiques et téléphoniques entre nos pays sont des plus compliqués. Les communications routières entre états voisins sont souvent difficiles, voire même impossibles. Il n’est donc pas étonnant que le commerce entre Pays Africains soit resté à un niveau anormalement bas. C’est le legs du siècle où les Africains étaient délibérément isolés les uns des autres. Ceux sont là des domaines vitaux où nous devons concentrer nos efforts.
Un autre projet dans le domaine de la coopération économique qui devrait recevoir une application sans tarder, c’est la création d’une Banque Africaine de Développement. C’est là un projet auquel nos gouvernements respectifs ont donné tout appui, et, qui a déjà fait l’objet d’études approfondies. Nous devrions décider que la réunion de nos Ministres des Fiances qui doit se tenir dans les prochaines semaines à Khartoum, devrait transformer ce projet en fait. En même temps, nos ministres pourraient convenablement continuer les études déjà entreprises concernant les effets sur l’économie africaine de la création de groupements économiques régionaux dans d’autres continents. Ils devraient entreprendre aussi d’autres études dans le but d’explorer les possibilités de faciliter le développement des relations économiques de nos pays.
Les pays d’Afrique, et ceci est vrai d’ailleurs pour tous les autres pays, peuvent avoir parfois des différends entre eux. Ces différends doivent être limités à notre continent et isolés de toute contamination d’intervention non-africaine. Pour cela des arrangements permanents doivent être trouvés pour en faciliter la solution pacifique. Car aussi peu nombreux ces différends soient-ils, ils ne doivent pas être laissés se détériorer. Une procédure de règlement pacifique des disputes doit être établie afin d’empêcher que la menace ou l’utilisation de la force ne mette plus en danger notre contient.
Nous devons envisager des mesures pour l’établissement d’un système de défense commun de l’Afrique. Des plans militaires pour la sécurité de notre continent doivent être préparés, en commun, dans un cadre collectif. La responsabilité de protéger notre continent de toute attaque de l’extérieur, est un devoir qui ne concerne que les Africains.
Des dispositions doivent être prévues pour qu’une assistance rapide et efficace puisse être fournie, dans le cas où un Pays Africain est menacé d’agression militaire. Nous ne pouvons pas compter simplement sur la moralité internationale. Le contrôle par l’Afrique de ses propres affaires est fonction de l’existence du dispositions militaires adéquates pour garantir sa protection contre de telles menaces. Cependant, tout en défendant notre propre indépendance, nous devons en même temps chercher aussi de vivre en paix avec le reste du monde.
L’Afrique a acquis son indépendance dans les conditions les plus difficiles. Les handicaps, dans lesquels nous travaillons, proviennent en grande partie du niveau d’éducation peu élevé de nos populations et de leur manque de connaissance de leurs frères africains. La meilleure formation que l’on peut avoir à l’étranger n’est qu’un substitut incomplet de l’éducation chez soi. Un effort massif doit être entrepris dans le domaine culturel et de l’éducation. Cela permettra non seulement d’élever le niveau d’éducation mais fournira aussi les cadres de techniciens qualifiés nécessaires à notre développement, tout en nous permettant de nous connaître les uns les autres. L’Ethiopie a entrepris il y a quelques années un programme de bourses pour les étudiants venant des autres pays d’Afrique. Le résultat a été très satisfaisant et extrêmement utile, et nous demandons que d’autres adoptent des projets similaires. Nous devrions d’ailleurs penser très sérieusement à la création d’une université africaine patronnée par tous les pays africains et qui servirait de lieu de formation des futures élites africaines dans une atmosphère de fraternité continentale. Dans cette institution africaine l’accent serait mis sur l’aspect supranational de la vie africaine, et les études y seraient orientés pour parvenir à une Unité Africaines complète. L’Ethiopie est prête dès maintenant pour décider sur le lieu où devrait se situer cette université et en fixer les modalités financières.
Ceci est un résumé très sommaire de tout ce que nous pouvons accomplir. Nous sommes tous d’accord sur ces mesures; c’est pourquoi notre accord devraient constituer la base de notre action.
L’Afrique est devenue une force de plus en plus importante dans la conduite des affaires du monde. Ceci parce que le poids de notre opinion collective n’est pas axé simplement sur les questions qui ne concernent que notre continent mais sur tous les problèmes qui préoccupent l’humanité toute entière. Au fur et à mesure que nous nous sommes connus davantage, et qu’une confiance réciproque s’est établie de plus en plus, il nous a été possible de coordonner nos politiques et nos actions, et de contribuer ainsi au succès des règlements de problèmes urgents et critiques pour le monde. Cela n’a pas été toujours facile. Si nous voulons que nos opinions aient le poids qu’elles méritent, il est indispensable que nos pays coordonnent leurs actions sur des problèmes communs. Nous autres Africains occupons une situation particulière, mais unique, parmi les nations de ce siècle. Ayant connu nous-mêmes pendant très longtemps, l’oppression, la tyrannie et la conquête, qui mieux que nous peut-il prétendre de réclamer pour tous le droit de vivre te de se développer en hommes libres? Victimes nous-mêmes pendant des dizaines d’années de l’injustice, qui mieux que nous peut-il élever sa voix pour demander la justice et le droit pour tous? Nous exigeons la fin du colonialisme, parce que nous trouvons injuste la domination d’un peuple par un autre. Nous demandons la fin des essais nucléaires et de la course aux armements, parce que ces activités qui menace l’existence humaine d’une manière effroyable sont qu’on gaspillage injuste de l’héritage matériel de l’homme.
Nous demandons la fin de la ségrégation raciale parce que tout affront à la dignité de l’homme est injuste. Dans tout cela nous agissons dans la légitimité pour une question d’un très haut idéal, et convaincus dans l’intégrité de nos croyances les plus profondes.
Dans cet effort, comme dans les autres, nous restons unis avec nos amis et frères de l’Asie. L’Afrique partage avec l’Asie un passé commun de colonialisme, d’exploitation, de discrimination et d’oppression, A Bandœng les Etats d’Afrique et d’Asie se sont engagés à libérer les deux continents de toute domination étrangère, et ont affirmé le droit pour chaque pays de se développer suivant son choix , à l’abri de toute intervention extérieure. La déclaration de Bandœng et les principes qui y sont énoncés gardent encore aujourd’hui pour nous tous, toute leur valeur.
Nous espérons que ces principes guideront les leaders de l’Inde et de la Chine dans leur recherche d’une solution pacifique de leur différend.
Nous devons mentionner aussi les dangers du cataclysme nucléaire qui menacent tout ce que nous possédons de plus précieux. Forcés de mener ainsi une existence quotidienne avec cette sensation et ce présage lugubre toujours à nos côtés, nous ne pouvons perdre cependant espoir. Les conséquences d’un conflit nucléaire sans contrôle seraient tellement désastreuses, que personne ne peut les déclencher. Il faut mettre fin aux essais nucléaires. Nous devons nous mettre d’accord sur un programme de désarment progressifs. L’Afrique doit être libérée et abritée, en tant que zone dénucléarisée, de toutes les conséquences directes par son inclusion involontaire dans la course aux armes nucléaires.
Les négociations à Genève, où la Nigeria, la République Arabe Unie et l’Ethiopie participent, continuent. Les progrès sont lents et difficiles. Nous ne pouvons pas dire avec précision la part de succès due au rôle toujours plus important des pays non-alignés dans les discussions; mais nous pouvons ressentir quelques satisfaction dans les quelques progrès réalisés vers un accord final entre les puissances nucléaires. Nous sommes persuadés que dans nos efforts de disperser les nuages qui planent sur l’horizon de notre avenir, nous devons réussir car l’échec est impensable. Nous avons besoin de patience et d’une détermination farouche, et un foi dans la clairvoyance du Tout-Puissant.
Si nous nous laissons guider par le souci d’un intérêt étroit et par une vaine ambition, si nous échangeons nos croyances pour des avantages à court terme, qui prêterait foi à nos paroles, qui croirait-il à notre désintéressement? Nous devons faire connaître nos opinions sur les grands problèmes qui préoccupent le monde avec courage et sincérité, en disant ce qui est. Si nous cédons aux menaces, si nous voulons compromettre lorsqu’il n’y a pas de compromis honorable possible, alors notre influence en sera diminuée d’autant, et notre prestige dangereusement affaibli. Ne renonçons pas à nos idéaux, et n’hésitons pas à nous sacrifier pour rester partout les défenseurs des pauvres, des innocents et des opprimés. Nos actes et nos attitudes ne doivent pas être mis en doute. Ces principes seuls peuvent conférer à nos actions force et sens. Soyons conformes à nos croyances, afin que celles-ci nous servent nous honorent. Au nom du principe et du droit nous réaffirmons aujourd’hui notre opposition au préjugé dans toutes ses formes et où qu’il soit. Nous nous engageons particulièrement à l’élimination totale de la discrimination raciale de notre contient. Nous ne pourrons jamais nous contenter de nos réalisations aussi longtemps que quelque part en Afrique des hommes maintiennent sous le prétexte racial leur supériorité sur l’un de nos frères. La discrimination raciale est la négation même de l’égalité psychologique et spirituelle que nous avons lutté pour obtenir. Elle est aussi un déni de la personnalité et de la dignité d’Africains qui nous avions établies par nos luttes. Aussi longtemps que notre esprit sera hanté par le spectacle désolant de l’apartheid en Afrique du Sud notre liberté politique et économique sera dénuée de sens. Nous devons redoubler nos efforts pour déraciner ce mal de notre continent. Et si nous utilisons les moyens dont nous disposons, l’apartheid de l’Afrique du Sud ne sera plus bientôt, comme le colonialisme, qu’un mauvais souvenir. Si nous mettons ensemble nos ressources et les utiliserons convenablement, ce spectre sera à jamais disparu.
Nous ne voudrions pas terminer sans parler des Nations Unies. Nous, qui avons toujours été guidé et inspiré au cours de Notre existence par le principe de sécurité collective, Nous ne voudrions pas proposer maintenant des mesures qui diffèrent ou qui ne soient pas conformes avec cet idéal ou avec les déclarations contenues dans la Chartre des Nations Unies. Il serait insensé, sans doute, d’abandonner un principe qui a résisté à l’épreuve des temps, et qui a donné la preuve de sa valeur intrinsèque plusieurs fois dans le passé. Ce serait plus que folie, que de vouloir affaiblir la seule organisation mondiale effective qui existe aujourd’hui et à laquelle chacun de nous doit tant. Ce serait tout simplement un manque de prévoyance si l’un quelconque d’entre nous voulait se retirer de cette organisation. Car quelle que soit son imperfection, elle constitue le meilleur rempart contre les incursions de forces qui nous priveraient de notre liberté et de notre dignité si difficilement gagnées.
La Chartre Africaine dont Nous avons parlé doit être en harmonie avec celle des Nations Unies. L’organisation des Etats Africains que Nous envisageons n’est destinée en aucune manière à remplacer dans nos rapports nationaux ou internationaux la place si bien méritée et très justement occupée par l’organisation des Nations Unies. Les mesures que Nous proposons délimiteraient avec précision et seraient un complément pour les programmes entrepris par les Nations Unies et ses Institutions spécialisées. Elles rendraient leurs activités et les nôtres plus efficaces en leur donnant plus de cohésion. Ce que Nous envisageons rendra plus importante la contribution de nos efforts communs pour assurer la paix du monde en développant le bien-être et la compréhension humaines.
D’ici un siècle, lorsque les générations étudieront l’histoire essayant de suivre et d’évaluer la croissance et le développement du continent Africain que trouveront-ils de cette Conférence? Sera-t-elle considérée comme l’occasion au cours de laquelle les leaders d’une Afrique libérée agissant avec audace et détermination plièrent les événements à leurs volonté et établirent les destinées futures des peuples d’Afrique? Se rappellera-t-on de notre réunion par ses réalisations durables, par l’intelligence et la clairvoyance de nos décisions? Ou se rappellera-t-on de cette Conférence pour ses échecs, pour l’incapacité des leaders qui y participèrent, à surmonter les préjudices locaux et les différends individuels et pour la déception qui en fit suite?
Toutes ces questions sont pour nous matières à réflexion. La réponse ne dépend pas de nous. Le défi à relever et les chances qui se présentent à nous sont autrement plus grands que tous ceux qui se sont présentés à nous au cours des millénaires de l’histoire africaines. Les risques et les dangers que nous courons n’en sont pas moins grands. L’immense responsabilité que l’histoire et les circonstances nous ont confiée, demande une réflexion équilibrée et sobre. Si nous réussissons dans les tâches qui se présentent à nous, on se souviendra de nos noms, et nos réalisations seront mentionnées par ceux qui nous suivent. Si nous ne réussissons pas l’histoire sera étonnée de notre échec et regrettera ce qui aura été perdu. Nous attendons avec impatience les résultats des jours qui vont suivre. Nous formulons le vœu que nous ayons la sagesse, le jugement, et l’inspiration nécessaires pour garder la confiance de nos peuples et de nos pays, qui ont placé leur sort entre nos mains.
L’histoire nous apprend que l’union fait la force et nous convie à mettre de côté nos différences, à les surmonter, dans la recherche d’objectifs communs, à lutter avec nos forces unies, dans la voie de la véritable fraternité et unité africaines. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une seule organisation africaine, par laquelle l’Afrique puisse faire entendre une seule voix. Nous formulons le vœux que nous ayons la sagesse, le jugement et l’inspiration nécessaires pour garder la confiance de nos peuples et de nos pays qui ont placé leur sort entre nos mains.”