18 mai 1935 | La conquête du territoire djiboutien :Arrêté portant création du cercle militaire de Dikkil-Gobad

Après que le port de Djibouti, créé en 1888, remplace Obock comme lieu principal de l’implantation française autour du golfe de Tadjoura vers 1895, seule la partie sud-est de l’espace revendiqué par la France est gérée par l’administration coloniale. C’est là qu’est construit le chemin de fer qui constitue le principal axe du commerce extérieur de l’Éthiopie.
En mars 1927, le gouverneur Pierre-Amable Chapon-Baissac créé sur le papier des « postes administratifs » à Obock, Tadjoura et Gobad-Dikhil. Si les deux premiers toponymes correspondent à des lieux identifiés, le troisième n’est qu’une vague indication dans un espace pratiquement inconnu des autorités françaises. C’est pourquoi le 21 décembre 1927, au prétexte d’affrontements entre des habitants de la région, un détachement militaire est envoyé au départ d’Ali Sabieh chercher l’emplacement adapté à la création d’un poste administratif. Parcourant 40 kilomètres en deux jours, la troupe identifie Dikhil comme le lieu idoine, à la « frontière des territoires issa et danakil ». Avec le soutien d’un important notable, Hásan Hanfare Lo’oytá, une nouvelle expédition l’occupe en mars 1928. Un premier chef de poste est installé, Alphonse Lippmann [1], et un fort est construit [2]. Les années suivantes, l’administration coloniale tente, avec les faibles moyens dont elle dispose, d’imposer sa domination sur le territoire et sa population, principalement constituée de pasteurs transhumants. Elle devient alors un acteur des conflits locaux. En août 1930, les institutions locales sont bousculées avec la « suppression » du « sultanat de Gobad » et l’exil à Madagascar de son titulaire, Lo’oytá Húmmad, cousin et concurrent de Hásan Hanfare [3], par simple décision administrative dans le cadre de l’indigénat.
Les troupes françaises occupent progressivement des espaces vers l’ouest et le nord-ouest. Elles rencontrent en février 1933 un autre acteur important, le « sultanat de l’Awsa » alors dirigé par Mahámmad Yayyó. Dépendant de l’Éthiopie, ce riche dirigeant qui jouit d’une grande indépendance, défend son contrôle de zones de pâturage situées à l’est des lacs terminaux de l’Awash, et des revenus qu’ils représentent. Ses intérêts s’opposent donc à l’avancée française. Il n’entreprend pas d’action armée, mais conteste la présence française en « territoire éthiopien » à nouveau lors d’une rencontre en octobre 1934 [4].
La mort d’Albert Bernard
En juillet 1934, l’élève-administrateur de l’École coloniale Albert Bernard, en stage en Côte française des Somalis, est nommé commandant par interim du cercle de Dikkil-Gobad, ce qui est interdit par la règlementation. Le 18 janvier 1935, il est tué puis mutilé à l’issue d’un affrontement avec un groupe armé qui retournait vers l’Awsa en Éthiopie après une expédition de prédation, une « razzia » [5]. Il avait pris en chasse ce « rezzou » de sa propre initiative, accompagné seulement d’une vingtaine de miliciens recrutés localement, faiblement armés, peu formés et sans encadrement militaire professionnel. Après avoir lancé l’assaut au petit matin, sa troupe est submergée et massacrée ; seuls deux miliciens parviennent à s’échapper [6].
Cet événement fondateur, encore commémoré de nos jours par l’armée française et les autorités djiboutiennes [7], marque le début d’une série d’affrontements entre des troupes françaises de recrutement local, encadrées par des officiers et sous-officiers d’infanterie coloniale, et des groupes de pasteurs transhumants et d’agriculteurs relevant de l’Awsa, définis globalement comme « ‘Asahyammára » ou « Ulu’tó ». Le cercle de Dikhil passe sous administration militaire, dirigé par des officiers, et la lente conquête du territoire en direction des lacs terminaux de l’Awash se continue.
Afin de sécuriser leurs avancées, les troupes coloniales construisent des routes et des fortifications
[1] Alphonse Lippmann publie en 1953 un récit romanesque de son expérience, Guerriers et sorciers en Somalie, Hachette, 256 p.
[2] Selon Wilfred Thesiger, qui y passe en 1934, le poste de Dikhil, imprenable, « a du coûter une fortune » (Carnets d’Abyssinie, Paris, Hoëbeke, 2003, p. 241).
[3] Hásan Hanfare meurt en 1930.
[4] ANOM, 2E7/2, note sans date [1938 ?], « Relations avec l’Aoussa ».
[5] L’effectif de ce groupe reste inconnu. Les rapports de l’époque parlent de 800 à 1000 personnes, mais ce chiffre est probablement surévalué afin de mettre en valeur l’« héroïsme » d’Albert Bernard et justifier sa défaite. Un rapport de 1944 évoque un maximum de 300 à 400 « guerriers » pour l’ensemble des Ulu’tós. Une note de 1948 signale qu’en 1933, Mahámmad Yayyó était accompagné de 400 guerriers (ANOM 3C18).
[6] Il y aurait eu 15 morts au cours du combat parmi les participants au « rezzou », dont le raid aurait causé la mort de 82 habitants, y compris des enfants, membres de groupes pastoraux.
[7] Voir le compte-rendu de la cérémonie de janvier 2015 sur le
Source: Human Village