16 Mai 1997 | RDC : Laurent-Désiré Kabila marquait la fin du règne de Mobutu

La contestation au régime du président zaïrois Mobutu Sese Seko atteint son paroxysme en mai 1997, alors que les troupes de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo progressent vers la capitale, Kinshasa. Après 32 ans au pouvoir, Mobutu quitte le pays pendant qu’un gouvernement de salut public est formé le 22 mai.

Militaire de carrière, le colonel Joseph-Désiré Mobutu accède au pouvoir le 24 novembre 1965 à la faveur d’un coup d’État. Avec son parti unique, le Mouvement populaire de la révolution, il dirige le pays de façon autoritaire. Farouchement anti-communiste, il profite du soutien de l’Occident et préconise un développement économique fondé sur l’exploitation des richesses minières. Au début des années 1970, il procède aussi à la « zaïrianisation », changeant son nom en Mobutu Sese Seko et celui du pays qui devient le Zaïre. Toutefois, de fortes inégalités persistent. Des problèmes économiques survenus au cours des années 1980 accentuent la contestation qui s’amplifie avec la fin de la guerre froide et l’élan démocratique du début des années 1990. De plus en plus isolé, le président accepte le multipartisme et la formation d’un gouvernement plus inclusif, mais les accusations d’autoritarisme, de corruption et d’enrichissement personnel continuent. La crise rwandaise, qui entraîne un flot de réfugiés au milieu des années 1990, incite Mobutu Sese Seko à adopter des mesures à leur endroit. Cette décision amène des pays voisins, dont le Rwanda, l’Ouganda et l’Angola, à appuyer l’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, un opposant au régime. Malgré des négociations, aucune entente ne peut être conclue avec le président. Alors que les troupes de l’AFDL convergent vers la capitale, Kinshasa, Mobutu Sese Seko quitte le pays le 16 mai 1997, après 32 années de pouvoir. Soigné en Europe, il meurt au Maroc quelques mois plus tard, le 7 septembre. On estime sa fortune à plusieurs milliards de dollars. Kabila forme un gouvernement de salut public et le Zaïre devient la République démocratique du Congo. L’instabilité persiste néanmoins dans ce pays qui sera bientôt plongé dans un autre conflit.

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Dans les médias…

Zyad Limam, « Les leçons de Kinshasa »

«…Malgré sa victoire, éclatante, Kabila a tout à prouver. C’est un homme du passé qui faisait déjà le coup de feu dans les années soixante, qui rêve de changer le Zaïre en Congo. Ex-maoïste ou guévariste, professionnel de la guerre de libération, on dit aussi qu’il est passé par la Libye. L’homme a, en tout cas, le sens du commerce. Il n’a pas hésité à vendre les ressources minières de son pays pour financer la rébellion. Kabila a prouvé qu’il savait être chef de guerre. Rien ne prouve qu’il saura être chef d’État, qu’il saura contrôler les différentes tendances qui composent son front de libération. Rien ne prouve qu’il sera encore là dans quelques mois… La victoire des hommes de « Papa Kabila » porte un rude coup à la démocratie africaine. En cette fin de XXe siècle, c’est une rébellion armée qui a pris le pouvoir, balayant sur son passage la transition zaïroise, les institutions et les partis. La force et les armes se sont imposées contre le processus électoral. La responsabilité n’en incombe pas uniquement aux rebelles, qui n’ont jamais voulu jouer ce jeu-là. Cette débâcle est aussi le résultat de la nullité de la classe politique zaïroise, majorité et opposition confondues, de son incapacité à s’organiser. »

Jeune Afrique (France), 21 au 27 mai 1997, p. 10.


Laurent Bijard, « Kabila apprenti vainqueur »

«…L’« atterrissage » des troupes de Kabila à Kinshasa s’est donc fait relativement en douceur, comme les envoyés spéciaux américains le souhaitaient. Reste maintenant à savoir comment se fera la transition. Car l’ex-Zaïre redevenu Congo n’est pas, en politique, une terre vierge, et l’élite de Kinshasa, contrairement à ce que l’on pourrait penser après ce long tunnel de la dictature, est extrêmement politisée. Si les damnés des quartiers défavorisés applaudissent sans réserve l’arrivée des hommes de Kabila, les sentiments sont partagés entre l’espoir et la crainte dans les milieux des classes moyennes, du commerce, des professions libérales, etc. C’est avec eux que « Papa Kabila » devrait normalement composer pour faire marcher la future République démocratique du Congo. Certes, il va d’abord trouver « un pays par terre, foutu », comme disent les Zaïrois. Il n’en reste pas moins qu’il va découvrir une jeune élite formée dans les universités occidentales et dont une grande partie, pour le meilleur ou pour le pire, a préféré rester à Kinshasa plutôt que de fuir avec la clan Mobutu. Au risque de se faire lyncher ou dévaliser. »

Le Nouvel Observateur (France), 22 au 28 mai 1997, p. 42.


Francis Laloupo, « La deuxième décolonisation »

«…Bonnes nouvelles des étoiles pour l’Afrique. Ce qui s’est produit en République démocratique du Congo constitue l’événement le plus important depuis la première indépendance. Le président ougandais, Yoweri Museveni n’hésite pas, pour sa part, à considérer les mutations en cours dans la région des Grands Lacs comme le fait le plus déterminant depuis cinq cents ans de l’histoire du continent, depuis les invasions, l’esclavage, la colonisation. Voire… En tout cas, la guerre de libération du Congo est la concrétisation d’une aspiration à une deuxième décolonisation. Jamais on n’aurait imaginé une telle « coalition de conscience », de l’Afrique du Sud au Rwanda, de la Zambie à l’Angola, de l’Ouganda au Burundi. Une coalition de conscience composée d’hommes au pouvoir, ou ayant conquis le pouvoir en mettant le temps de leur côté, ayant pris le temps de faire mûrir l’idée, la matérialisation d’un rêve africain. Lorsque les troupes de l’AFDL sont parties de Goma en direction de Kinshasa, et alors que l’issue de cette marche était encore incertaine, Laurent-Désiré Kabila répétait à ses troupes : « Nous ne savons pas si nous y arriverons, mais nous nous efforcerons, cette fois, de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé. Une nouvelle histoire du pays est à écrire. »

Le Nouvel Afrique-Asie (France), juin 1997, p. 9.


François Brousseau, « Le mystère Kabila »

«…le problème des réfugiés hutus a constitué la bougie d’allumage d’un tournant historique concernant toute l’Afrique centrale. Pourtant, lorsqu’apparaît l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo, dirigée par un vieux combattant anticolonialiste des années 60 sorti des boules à mites, personne ne croit sérieusement que le pouvoir de Mobutu est menacé à court terme. Mais rapidement, c’est le triomphe foudroyant de la rébellion, d’une province à l’autre, doublé de l’effondrement pur et simple de l’armée zaïroise, laissée à l’abandon depuis plusieurs années. Mais cette faiblesse n’explique pas tout: on peut tout de même s’interroger sur l’étonnante machine de guerre mise sur pied par Kabila, dont les témoignages s’accordent à souligner le caractère discipliné et très bien dirigé. Massacreurs de civils? Agents de l’étranger? Instrument d’un grand « rebrassage de cartes » à l’échelle du continent? À ces gentilles épithètes, on peut ajouter celle de « futurs dictateurs ». Lorsqu’on écoute Kabila et ses proches exprimer, de façon ouverte, leur mépris pour l’idée d’élections, on peut s’inquiéter à juste titre. Kabila a ainsi déclaré: « Pas d’élections avant au moins deux ans. » Deo Gratias Bugera, numéro deux de l’Alliance rebelle, a précisé: « Les élections sont une modalité, pas une finalité. » Alors, après la guérilla et ses bavures humanitaires, la dictature à visage découvert? »

Le Devoir (Québec, Canada), 21 mai 1997.


Marcus Mabry et Tom Masland, « Back to the Congo »

«…Apart from changing the country’s name back to its pre-Mobutu roots, Kabila gave little indication of what he would do with his stunningly swift victory, which took him from obscurity in the eastern hills clear across an immense country in just seven months. A onetime Marxist revolutionary and enterprising gold smuggler, Kabila was a triumphant enigma. He said he would form a « government of national salvation » within 72 hours and a new constituent assembly in 60 days. He promised to hold free elections, but he didn’t say when. Kabila also said he had spoken by telephone to Mobutu’s generals, and they were « ready to receive orders from me. » Who, if anyone, would give orders to Kabila ? His supporters hailed him as another African strongman; others called him a figurehead for a multitude of foreign forces and domestic factions. Unlike Kabila, many of his fighters were Zairean Tutsis. His rebel alliance had been sponsored by other African countries notably Angola, Uganda and Rwanda, with patronage from sources as far away as Europe and the United States. His advisers talked about building a constitution and a police force on U.S. models and making English a second language, along with French. For the moment, however, all Kabila had to do was savor his victory. »

Newsweek (États-Unis), 26 mai 1997, p. 38.

Perspective Monde

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