17 Mars 1992 | Le Référendum sur la fin de l’apartheid a lieu; les Blancs d’Afrique du Sud se rendent à l’évidence

Consultée par référendum, la minorité blanche accorde un blanc-seing à Frederik De Klerk, alors premier ministre, pour poursuivre les « réformes » engagées. Le livre de l’apartheid se referme, mais celui de la démocratie n’est pas encore ouvert. C’est Nelson Mandela qui en écrira le premier chapitre.
«Whites only ! » Les principales lois de l’apartheid avaient été démantelées quelques années auparavant, mais, ce 17 mars 1992, une forme d’apartheid politique était réactivée. En cette fin d’été austral, seuls les Blancs d’Afrique du Sud étaient invités à voter. Une fois de plus. Une dernière fois, finalement. La question était assez simple : soutenez-vous les réformes lancées par Frederik De Klerk ? Autrement dit : autorisez-vous le chef du gouvernement à poursuivre les négociations avec l’ANC, mouvement dont le but est le démantèlement total de l’apartheid ? Le parti de Nelson Mandela n’avait pas manqué de souligner la contradiction : demander aux seuls Blancs s’ils voulaient en finir avec un système qui ne réservait justement les droits politiques et humains… qu’aux seuls Blancs. « L’Afrique du Sud appartient à tous ses habitants ! » proclame la charte de la liberté, rédigée en 1955 par le mouvement anti-apartheid. On aurait pu, en effet, demander à l’ensemble des Sud-Africains ce qu’ils en pensaient.
Mais, en 1992, Frederik De Klerk, tout verligte (éclairé, en afrikaans, en opposition aux verkrampte, les cramponnés) qu’il était, n’en refusait pas moins de faire sien le principe démocratique de base : « Un homme, une voix. » Le sujet constituait même l’une des principales pierres d’achoppement dans les négociations entre l’ANC et le Parti national (au pouvoir depuis 1948).
Le premier ministre qui avait pris la place de P.-W. Botha en 1989, porté par le clan des pragmatiques, arguait, au contraire, qu’il lui fallait un mandat clair de la part de la communauté blanche, qu’il n’en serait que plus fort pour aller plus loin dans les négociations.
Ce référendum n’en est pas moins le fruit de conditions. Depuis la libération de Nelson Mandela et la levée de l’interdiction de l’ANC et du Parti communiste sud-africain (SACP), en février 1990, le Parti national, architecte du « grand apartheid », avait subi plusieurs revers cuisants lors d’élections partielles face au parti conservateur. Le 19 février 1992, après une nouvelle victoire à Potchefstroom, en plein pays afrikaner, ce parti, opposé aux négociations, affirma que la preuve était faite que le gouvernement ne disposait d’aucun mandat de la part du « peuple blanc » pour brader « ses intérêts ».
De Klerk décida alors l’organisation d’un référendum qui donna lieu à une véritable campagne électorale. Le leader d’extrême droite, Andries Treurnicht, dénonçait le danger de « la loi de la majorité noire » et de la « loi de l’ANC communiste ». Le Parti national imprimait des affiches montrant un membre de l’AWB, milice d’extrême droite dirigée par Eugène Terre’Blanche, armé d’un pistolet, avec ces mots : « Vous pouvez arrêter cet homme. Votez oui. » De son côté, le Parti démocratique, petit mouvement libéral blanc opposé à l’apartheid, disait : « Ja vir vrede » (oui pour la paix).
Le 17 mars, 2 804 947 électeurs blancs sur les 3 296 800 inscrits se rendirent aux urnes. Le « oui » l’emporta avec 68,73 % des suffrages. Il était massif au Cap et à Durban (85 %), mais plus étriqué dans la capitale, Pretoria (57 %). Seules la région rurale du Northern Transvaal et sa capitale Pietersburg choisirent le « non » (57 %). De Klerk apprécia particulièrement le résultat de la très conservatrice Kroonstad (oui à 52 %), où cinq parlementaires sur sept avaient défendu le « non ».
La réponse de la communauté blanche était sans appel. Nelson Mandela fit savoir qu’il était « très heureux, évidemment ». Quant à Frederik De Klerk, il déclara : « Aujourd’hui, nous avons fermé le livre de l’apartheid. » Pourtant, le chef du gouvernement rechignait toujours à ouvrir celui de la démocratie. Aucune date pour des élections démocratiques n’était fixée. Pour cause : le pouvoir tentait d’empêcher l’application de la règle du suffrage universel.
Dans sa stratégie de défense des intérêts de la minorité blanche, le référendum victorieux avait incontestablement permis à De Klerk de marquer des points. Mais il allait rapidement perdre son crédit.
Le 17 juin 1992, trois mois jour pour jour après le référendum, des affidés de l’Inkhata, le parti de Buthelezi, massacrèrent 46 résidents de la township de Boipatong, sous l’œil passif de la police. La commission Vérité et réconciliation fera plus tard la lumière sur ce drame : les miliciens de l’Inkhata avaient bel et bien été amenés sur place dans des véhicules de police. Les meneurs étaient des policiers blancs grimés en Noirs…
L’ANC décida alors d’interrompre les négociations. De Klerk ne trouva pas nécessaire de faire une déclaration quelconque. Bien décidé à ne plus laisser le Parti national mener double jeu, le mouvement de Nelson Mandela déclencha la plus grande grève de l’histoire du pays, les 3 et 4 août. Le pouvoir blanc céda. La route vers les premières élections démocratiques de l’histoire du pays était ouverte.
Frederik de Klerk pragmatique Un pays était aux anges, mais un type affichait un visage crispé : Frederik De Klerk. Le 10 mai 1994, l’Afrique du Sud célébrait la prestation de serment de son premier président démocratiquement élu (le fait qu’il soit noir n’est qu’anecdotique, au fond), Nelson Mandela. Mais, pour le dernier président de l’apartheid et désormais deuxième vice-président d’un pays enfin démocratique, l’événement ne valait manifestement pas cette débauche d’espoirs. Il ne pouvait mieux montrer à quel point son attitude politique avait été dictée par le pragmatisme, et non par une « révélation » quelconque. L’ancien apparatchik falot du Parti national est devenu, par le fait de circonstances, le porte-parole des réformateurs et des milieux d’affaires, qui avaient compris dès le milieu des années 1980 que le système ne survivrait pas longtemps. En 1996, De Klerk démissionnait de son poste de vice-président et, en 1997, il quittait la politique, considérant sa mission remplie : avoir préservé du mieux possible les intérêts économiques de la minorité blanche.
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