Qui eût cru que ce 27 février 1897 le général Galliéni pût déposer la Reine de Madagascar, Ranavalona III, de la façon si brutale, qu’en outre il prit soin d’imposer à cette femme déjà apeurée ; et qu’immédiatement après ce « jeneraly masika » (« général méchant ») ait décidé tout aussi rudement l’abolition de la monarchie malagasy ?
Car, le « jeneraly masika » n’y est pas allé de main morte, bien au contraire il voulait faire mal et humilier !
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En voici les circonstances.
Et d’abord, les faits centraux :
. le 27 février 1897 à 20h, la reine Ranavalona III est dans le salon de son pavillon préféré « Tsarahafatra » au Rova d’Antananarivo quand soudain le ministre de l’Intérieur Rasanjy, accompagné du commandant Gérard, s’introduit pour annoncer sans ménagement à sa souveraine sa déposition, d’ordre du général Galliéni. Il lui dit également d’avoir à ramasser quelques uns de ses effets personnels car elle devra quitter nuitamment le Palais, le Rova, les siens, son pays, ce pour l’exil à La Réunion ;
. le lendemain 28 février à une heure du matin, c’est sous la conduite d’un simple sous-lieutenant, Durand, que Galliéni ordonne à celle qu’il considère désormais comme étant l’ex-Reine Ranavalona III de suivre un convoi placé sous l’escorte d’une petite compagnie de soldats français. Pour ce périple, elle n’est autorisée à se faire accompagner que de Razafindrazaka, l’un de ses gardes favoris, les princesses Rasendranoro, sœur de la reine, et Razafinadriamanitra, sa tante, n’étant quant à elles, sur les supplications de Ranavalona III, autorisées à rejoindre cette dernière que le lendemain par un autre convoi ;
. le même jour, par une décision visant à faire table rase des institutions de la royauté de Madagascar, Galliéni s’applique à prendre un décret qui abolie « la monarchie merina » ;
. le 12 mars 1897, Ranavalona III, rejointe à Tamatave par quelques membres de sa famille proche, appareille pour La Réunion à bord du navire « La Peyrouse » pour accoster le surlendemain à Saint-denis-de-La-Réunion ;
. interpellé devant le Sénat le 3 avril 1897, le Ministre français des Colonies, Lebon, déclare pourtant « regretter que les circonstances eussent forcé le général Galliéni à prendre (la décision de déposer la reine Ranavalona III) sans avoir pu avoir l’adhésion préalable du gouvernement… », signifiant ainsi clairement que le général Galliéni avait agi de son propre chef sans autorisation expresse de son gouvernement.
Comment en est-on arrivé là ?
La chronologie implacable des évènements nous le fait comprendre.
Bijoux de diamants de la reine Ranavalona III (photo extraite de l’ouvrage « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo », de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, L’Harmattan, 1989. – Reproduction interdite -).
L’ENGRENAGE FATAL
Fin septembre 1895, un dernier baroud d’honneur du vaillant général Rainianjalahy sur le front ouest se traduisant par de courageuses attaques des ailes du corps expéditionnaire français n’y fait rien.
La situation militaire est sans espoir du côté malagasy.
Les marches conduisant aux accès nord-ouest des faubourgs d’Antananarivo s’ouvrent aux forces françaises.
Dès le 29 septembre 1895 au petit matin, le gros des troupes françaises emprunte le large couloir de Sabotsy-Nahamena tandis que des éléments avancés de celles-ci équipés de canons à longue portée se positionnent solidement, au nord-ouest sur les crêtes des collines environnantes, et au nord et à l’est dans les faubourgs d’Antananarivo.
Par une tactique de contournement qui désoriente les troupes royales malagasy, lesquelles résistent par d’intenses tirs d’artillerie de campagne, le 30 septembre en fin de matinée ce n’est non pas dans une attaque frontale à partir du nord-est ou du nord que le général Duchesne décide de l’assaut final, mais par un bombardement du Rova d’Antananarivo à partir des collines ouest de la capitale royale.
Ce même 30 septembre 1895, les tirs intenses de l’artillerie française commencent à 14h55.
Le Palais de Manjakamiadana, qui abrite une population effrayée, venue là se mettre sous la protection de la Reine Ranavalona III, et où sont entassés un stock de poudre et des munitions, est touché par de multiples éclats d’obus.
Dès ce 30 septembre 1895 à 15h30, ce seul fait décide la Reine Ranavalona, afin d’éviter le carnage, – puisque, au surplus le Rova étant composé des autres palais en bois que sont Besakana, Manampisoa ou le Tranovola -, à ordonner le cessez-le-feu unilatéral et à faire immédiatement amener le pavillon royal au sommet du palais pour y hisser le drapeau blanc de la reddition.
Les évènements se précipitent alors :
– le 1er octobre 1895, le général Duchesne du côté français, et les ministres Razanakombana et Rasanjy du côté malagasy, signent le traité établissant le protectorat de Madagascar : « Article 1er : Le gouvernement de S.M la reine de Madagascar reconnaît et accepte le protectorat de la France, avec toutes ses conséquences » ;
– le 2 octobre 1895, Rainilaiarivony est démis de ses fonctions de Premier ministre et de commandant en chef des armées royales. Il est remplacé par Rainitsimbazafy, un francophile notoire, tandis que Rasanjy, le véritable homme fort du régime de protectorat, est ministre de l’Intérieur ;
– le 3 octobre, le général Duchesne, commandant en chef des forces expéditionnaires françaises, rend une visite courtoise à la reine Ranavalona III au Palais « Tranovola » dans le salon des Ambassadeurs, et le lendemain 4 octobre présente à la ratification de la Reine Ranavalona III le nouveau traité de 1895, qui remplace celui du 17 décembre 1885 (signé, côté français par Patrimonio et Miot, et côté malagasy par Digby Willoughby à qui Rainilaiarivony avait confié et le commandement en chef des troupes malagasy et le soin de négocier avec les Français… !), lequel établissait déjà un régime de protectorat déguisé sur Madagascar ;
Le gouvernement royal malagasy et l’administration restent en fonction mais placés sous le strict contrôle du Résident général de la France à Madagascar (cf. Article V du traité de 1895), tandis que la Reine Ranavalona III « s’engage à procéder aux réformes que le gouvernement français jugera utiles…ainsi qu’au développement économique de l’île et au progrès de la civilisation », et une disposition spéciale (cf. article IV, alinea 2) stipule que le gouvernement français « prend l’engagement de prêter un constant appui à S.M la reine de Madagascar contre tout danger qui la menacerait ou qui compromettrait la tranquillité de ses Etats » ;
– le 20 janvier 1896, en signe aussi respectueux qu’affectif, le Résident général français, Laroche, au nom du gouvernement français remet à la reine Ranavalona III, qui ne manque pas de séduire les hautes autorités françaises, un fabuleux collier de diamants ;
– Début février 1896, Rainilaiarivony, le maître de Madagascar, l’époux morganatique des différentes reines depuis Rasoherina, est contraint de partir en exil à Alger. Il y meurt le 17 juillet.
L’ECHEC DE LA « PACIFICATION »…
Ainsi donc est fixé le nouveau cadre institutionnel malagasy.
La France croit pouvoir se rassurer.
Mais, les évènements politiques internes, la situation psychologique et psychique d’un peuple soumis et humilié, ainsi que les actes du colonisateur vont faire prendre au cours de l’histoire malagasy un tour dramatique.
Tout naturellement, suite à l’abaissement de la royauté et de la nation malagasy, un mouvement de révolte générale s’instaure dans les provinces et Antananarivo est secouée par la rumeur, le dépérissement des structures et l’égarement des sentiments.
La reine, pourtant, ne cesse d’appeler à la raison, notamment en payant de sa personne dans de nombreux déplacements en province, mais ni sa voix ni sa geste ne portent plus. Certains, de plus en plus nombreux, n’hésitent plus à la discréditer, en particulier en lui reprochant de n’avoir pas eu le cran de se démarquer de son Premier ministre et époux Rainilaiarivony.
Et pis encore, son autorité est directement contestée par les traditionalistes nostalgiques du temps des rois combattants ; du moins, ainsi se présentent-ils afin de donner le maximum de lustre à leurs actions. Ils se constituent en une légion armée, les Menalamba, « ceux à l’étoffe rouge », allusion à la couleur royale mais également au drapeau rouge, étendard de la « guerre sainte » contre l’envahisseur étranger.
Le désordre est si persistent qu’un soulèvement généralisé est craint. Néanmoins, on soigne les apparences et par un grand défilé du 14 juillet, suivi d’un bal à la Résidence de France d’Antaninarenina, la France entend faire la démonstration de sa puissance.
Or, sur le terrain ses forces armées, transformées en forces d’occupation et en forces de l’ordre avec pour mission urgente de pacifier l’île, s’embourbent. La pacification de Madagascar après la victoire armée sur les troupes royales malagasy est donc un échec patent.
En France, les députés et hauts dirigeants décident donc de l’annexion pure et simple de Madagascar, ce qui se traduit rapidement par l’adoption, le 6 août 1896, d’une loi prestement adoptée par la Chambre des Députés et proclamant « colonie française l’île de Madagascar avec les îles qui en dépendent ».
Après celui instauré par le traité du 1er octobre 1895 qui établit un protectorat, un second cadre institutionnel de colonisation est ainsi mis en place.
Il entraîne donc l’installation de l’ « Administration de Madagascar et Dépendances ».
GALLIENI, LE TOMBEUR DE LA REINE ET DE MADAGASCAR
Pour asseoir ce nouveau régime, la France envoie à Madagascar le général Galliéni, le tombeur du Tonkin et du Soudan, qui arrive prestement sur place dès le 16 septembre 1896.
Ici encore, à cette étape des difficiles rapports malagasy-français, de part et d’autre des autorités on s’efforce de sauver les apparences, à défaut de résoudre sur le fond la question malagasy.
En voici les faits saillants :
– entourée de toute sa cour, la reine Ranavalona III, précédée non pas de son pavillon royal mais du drapeau tricolore français, pousse l’abnégation jusqu’à se rendre en personne, le 28 septembre 1896 à 15h, au quartier général français où le général Galliéni s’applique à lui faire une réception solennelle et ostensiblement respectueuse, mais personne n’est dupe du caractère de soumission d’un tel acte ;
– dès le lendemain 29 septembre, c’est Galliéni qui se met en devoir de rendre visite à la reine Ranavalona III en son Palais du Rova d’Antananarivo, son entrée étant saluée par vingt et une salves de canon, le drapeau tricolore déployant ses couleurs au sommet du palais Manjakamiadana ;
– encore une fois, tout ceci ne parvient cependant pas à masquer la dure réalité sur le terrain, de sorte que devant l’emprise française et l’impuissance de la reine à incarner une quelconque forme de résistance, son oncle le prince Ratsimamanga et le chef de l’oligarchie hova, le général Rainandriamampandry, tentent par un front commun de l’organiser. Mal préparée et menée dans l’improvisation, et sans doute intervenant trop tardivement, leur entreprise échoue. Arrêtés sur l’ordre de Galliéni, ils sont fusillés sur la place publique le 15 octobre 1896 ;
– comme si de rien n’était, le 21 novembre 1896 la veille de la « Fête du Bain », Fête nationale malagasy, la reine Ranavalona III offre aux Français une grande réception en son Palais.
Arrive alors le début d’année 1897, devant l’aggravation de la situation le général Gallieni obtenant entre temps d’être nommé Gouverneur général de Madagascar et Dépendances, ce qui lui donne les pleins pouvoirs pour « pacifier » comme il l’entend la Grande Ile.
En vérité, il avait en projet bien précis dans sa tête la déposition de la reine Ranavalona III qu’il soupçonne d’un double jeu dans cette difficile « pacification » qu’il ne réussit pas dans les délais qu’il s’était fixés.
C’est pourquoi, Galliéni décida ce que nous relatons ci-dessus au début de ce récit.
PROSPECTIVE…
Nous n’abordons pas ici les suites de ces évènements, renvoyant le lecteur à notre article « Réformateurs et modernisateurs de Madagascar, 9ème partie », daté du 16 octobre 2013, et concernant la personnalité de la reine Ranavalona III à celui consacré à « La personnalité attachante de Ranavalona III, la dernière reine de Madagascar » daté du 6 décembre 2015, tous deux publiés sur ce même blog.
Par contre, en guise de prospective, disons ici que si un cycle s’est ainsi terminé pour Madagascar, et qui si jusqu’à aujourd’hui les lointains avatars de cette fin peu glorieuse de la monarchie malgache trainent toujours leurs néfastes conséquences institutionnelles, lesquelles sont si peu adaptées à ce pays pétri de traditions façonnées et ancrées par l’Histoire, un nouveau cycle, précisément novateur, doit désormais être enclenché.
Ce cycle novateur ne peut que se trouver dans la mise en place d’une monarchie qui prendra racine, certes dans nos traditions premières, mais aussi dans la vraie modernité d’un système institutionnel authentiquement malgache.