22 JANVIER 1956 – L’APPEL POUR UNE TRÊVE CIVILE EN ALGÉRIE : ACTEURS, CONTEXTE ET PROLONGEMENTS

Le 22 janvier 1956, à l’initiative d’un groupe où se côtoient militants algériens et intellectuels français d’Algérie, Albert Camus lance à Alger un Appel pour une trêve civile en Algérie. Alors que déjà une guerre multiplie ses victimes, les participants signent en nombre une motion visant à obtenir un engagement conjoint de chacune des forces en présence :
« Nous demandons qu’en dehors de toute position politique et sans que cela entraîne aucune interprétation de la situation actuelle, dans un sens comme dans l’autre, un engagement soit pris pour assurer la protection de civils innocents. »
La réunion, tenue sous la menace d’une contre-manifestation des ultras de l’« Algérie française », fut un dernier moment de fraternisation franco-algérienne avant que la « journée des tomates » puis le vote des « pouvoirs spéciaux » ouvrent la voie, pour plusieurs années, à la surenchère des violences… L’échec immédiat de cette initiative de la dernière chance a souvent conduit à ne plus y voir qu’un témoignage purement moral qu’auraient condamné d’avance une origine parisienne, son caractère individuel et l’absence de prise de position sur le fond de la question algérienne. Aussi, comme y invite la publication récente du récit inédit de Charles Poncet, l’un des membres européens du comité d’initiative[1], il est utile de rappeler que :
L’Appel est à resituer dans ce bref moment politique du début de l’année 1956 où la victoire électorale en France d’un Front républicain constitué à l’initiative de Mendès France, les évolutions restant en cours au sein des forces algériennes de libération nationale et la situation internationale (dégel en URSS, révolution nassérienne, marche vers l’indépendance de la Tunisie et du Maroc…) pouvaient encore susciter l’espoir d’une solution négociée en Algérie ;
* À travers son comité d’initiative, l’Appel a été porté, collectivement et à Alger même, par ce que la minorité européenne libérale, avec Jean de Maisonseul, Louis Miquel, Pierre-André Émery, Roland Simounet, Louis Bénisti, Évelyne et René Sintès, Emmanuel Roblès, Henri Cordreaux, comportait de meilleur au plan intellectuel et artistique. L’appel était par ailleurs publiquement soutenu par des religieux comme le père Cuoq et le pasteur Capieu.
* Avec Amar Ouzegane, Mohamed Lebjaoui, Maître Aderrezak Chentouf, Boualem Moussaoui, Mouloud Amrane et le Docteur Abdelaziz Khaldi, sa préparation a été partagée, à parité au moins, par des acteurs algériens, dont la plupart étaient déjà personnellement engagés, derrière Abane Ramdane, dans la préparation de ce qui deviendra pour le FLN la plate-forme de la Soummam (août 1956). La protection de la salle a été organisée par Arezki Bouzerina, dit Hedidouche, en liaison avec Omar Aïchoune et Mohamed Abdenour.
* La réunion s’est en outre tenue en présence de personnalités comme Ferhat Abbas et le cheikh Tayeb El-Okbi et elle a mobilisé de nombreux jeunes Européens sympathisants de l’aspiration nationale algérienne ou favorables à l’ouverture de négociations ;
* Enfin, si les défenseurs de l’Appel avançaient un objectif minimal de refus des victimes civiles sans demander aux deux belligérants d’abdiquer a priori leurs objectifs respectifs, ils visaient bien à créer, avant qu’il ne soit trop tard, les conditions d’une discussion loyale autour de l’avenir de l’Algérie ; d’autres discrètes tentatives comparables seront d’ailleurs conduites par la suite, notamment de la part de Germaine Tillion en liaison avec Yacef Saadi.