6 janvier 1987 | Tripoli reconnaît, pour la première fois, que les Libyens ont mené des opérations militaires au Tchad

DE MANTA À EPERVIER : OPÉRATIONS AÉRIENNES AU-DESSUS DU TCHAD

De Manta à Epervier : opérations aériennes au-dessus du Tchad (1983-1988)

Rappel historique

Depuis son indépendance en 1960, le Tchad a été le théâtre d’affrontements réguliers entre plusieurs clans. Le 22 juin 1966 est fondé le FROLINAT (Front de Libération National Tchadien) qui, à partir de 1969, est soutenu par la Libye. En avril 1969, est déclenchée l’Opération Limousin qui prendra fin en octobre 1972. Seules des troupes d’assistance militaire technique reste sur place ensuite. Au cours de cette opération, les AD-4, H-34 et Nord 2501 sont engagés contre les rebelles. Les Skyraiders sont basés principalement à Faya Largeau et réalisent des missions d’appui-feu au profit des troupes au sol (cf. Le Tchad vu par un aviateur d’Emile Gomez).

Début 1973, les libyens occupent, la bande d’Aouzou qu’ils revendiquent. Mais, le 4 avril 1975, Tombalbaye est renversé par le général Malloum. Suite à l’affaire de la prise d’otage de madame Claustre le 21 avril 1974 et l’élimination du commandant Galopin par Hissène Habré, le général Malloun (assez irrité par la gestion de la crise par la France) renvoie les troupes françaises et essaie de négocier directement avec le FROLINAT sans succès. En 1977, la situation se dégrade dans le Tibesti. Les libyens soutiennent de plus en plus militairement le FROLINAT et les villes de Faya-Largeau, Ounianga-Kebir, Fada et Koro-Toro tombent aux mains des rebelles en février 1978. La France est alors contrainte d’intervenir de nouveau dans le cadre de l’Opération Tacaud, respectant ainsi les accords de coopération militaire de 1976.

Cette fois-ci, ce sont les Jaguars qui font parler d’eux notamment au cours de la bataille d’Ati en mai. Ils subissent les premiers tirs de SA-7, arme sol-air qui changera la donne dans la suite du conflit qui opposera le Tchad à la Libye. Déjà, le 30 janvier, un C-54 a été abattu par ce type de missile à Faya Largeau, ainsi qu’un AD-4 le 16 avril près de Salal. Quatre Jaguars sont perdus pendant Tacaud. Un est abattu vers Djedda le 31 mai (Le pilote réussit à s’éjecter) et trois autres sont victimes d’accidents (Un pilote est tué lors d’un crash au nord de Djedda le 8 août, un second s’éjecte après une collision avec un autre Jaguar vers Mongo le 23 août et le dernier est tué lors d’un crash à l’atterrissage à N’Djamena le 14 octobre). Les troupes du Frolinat sont repoussées au nord dans la bande d’Aouzou.

Fin 1978, Malloum nomme Habré Premier Ministre. Ce dernier le chasse de la capitale en février de l’année suivante. Finalement, en 1979, est créé le Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT). Celui-ci rassemble les chefs de toutes les tendances, en particulier, Goukouni Weddeye (Président), Kamougué (Vice-Président) et Hissène Habré (Ministre de la Défense). En mars 1980, Habré rompt avec le GUNT et s’empare d’une partie de la capitale. Weddeye fait alors appel officiellement à la Libye et chasse Habré de N’Djamena en décembre de la même année. Le retrait des Libyens (sous la pression de la France, notamment), en novembre 1981, provoque un retour en force d’Habré. Il s’empare à nouveau de la capitale le 7 juin 1982. Son nouveau gouvernement obtient rapidement une reconnaissance internationale.

En juin 1983, le GUNT soutenu par les libyens, engage une nouvelle offensive. Il s’empare de Faya Largeau, Abéché et se dirige vers N’Djamena. Finalement Habré et les FANT contre-attaquent et reprennent Abéché, puis Faya Largeau le 31 juillet. Les libyens décident alors d’engager leur aviation pour soutenir leur allié. Entre le 30 juillet et le 2 août, pas moins d’une vingtaine de raids sont réalisés par les Su-22, Mirage et Mig-23 sur les positions des FANT (bombes classiques, incendiaires, à fragmentation, tirs de roquettes et au canon) qui sont obligés de se replier sur la capitale. Les seuls avions dont disposent Habré sont les trois Aermacchi MB-326K et les trois Mirage 5 mise à disposition par le Zaïre, mais ils sont incapables d’intervenir. Néanmoins, deux Su-22 sont abattus par des SA-7 et leurs pilotes faits prisonniers les 31 juillet et 6 août au-dessus de Faya Largeau. Habré ne cesse de demander une intervention de la France.

Carte du Tchad (Source IZF)

Opération Manta

A l’Elysée, une opération coup de poing est tout d’abord envisagée. Une des options est une intervention aérienne sous la forme d’un raid de Jaguars sur la base d’Aouzou (opération Orque). C’est une mission à haut risque car depuis Bangui, il faut parcourir 2050 km pour rejoindre Aouzou. Ce qui impose plusieurs ravitaillements en vol dont l’un très au nord avec le risque pour les C-135 d’être repérés et abattus par la chasse libyenne. La configuration prévue est deux C-135, quatre Jaguars équipés de six bombes de 400 ou 250 kg, de nacelles d’autoprotection et d’un réservoir supplémentaire de 1200 litres. C’est un coup de poker et le risque d’échec est élevé. Finalement, après hésitation, l’opération Orque n’aura pas lieu. Le 10 août, écrasée sous les bombes libyennes, Faya Largeau cesse toute résistance. Le même jour, l’opération Manta est déclenchée.

Dès le début, de nombreux problèmes logistiques empêchent Manta de se mettre en place correctement. L’acheminement du carburant destiné aux avions (Jaguars et Mirage F1C) indispensable pour la couverture aérienne du dispositif pose de sérieux problèmes. Les C-135 et avions civils des compagnies africaines sont mis à contribution et vide une partie de leurs réservoirs dans les cuves de l’aéroport de N’Djamena (cf. Colonel Spartacus, « Opération Manta »). Finalement, le dispositif aérien de Manta se composera au plus fort de l’opération (fin janvier 1984) de 8 Jaguars, 2 C-135, 7 Mirage F1C, 2 ATL, jusqu’à 26 C160 et 3 DC8 sans compter les 30 hélicoptères de l’ALAT (Gazelle et Puma).

Une section Crotale est installée à N’Djamena, ainsi que des radars SNERI à Moussoro, Ati et N’Djamena et un radar Spartiate à Biltine. Une « ligne rouge » est décrétée au niveau du 15è parallèle, son franchissement entrainant automatiquement une riposte des troupes Manta.


Arrivée des Jaguars à N’Djamena le 21 août 1983 (Source INA)

Début septembre, des combats entre le GUNT et les troupes gouvernementales ont lieu dans la région d’Oum Chalouba. Deux Jaguars interviennent sur la zone en réalisant des simulacres de straffing. Leur seule présence fournit un appui important aux FANT en provoquant la panique au sein des hommes du GUNT.

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Combats à Oum Chalouba le 2 septembre 1983 (Source INA)

Les libyens sont bloqués au nord et la situation se fige pendant quelques temps. Néanmoins, en octobre, par deux fois, l’aviation libyenne franchit la ligne rouge. Le 23, un Il-76 est intercepté par une patrouille de Mirage F1 au nord de Salal, l’équipage est sommé par les pilotes de modifier sa route et met finalement le cap vers le nord.

Un pilote effectue la VAV (Vérification Avant Vol) de son Mirage F1 avant un départ en mission (Source ECPAD)

Torodoum

Les choses s’enveniment en janvier 1984 lorsque les troupes du GUNT franchissent le 15è parallèle et attaque le poste de Ziguey, près de la frontière nigérienne. Le 25, une colonne de Toyota, camions citernes et d’eau et de véhicules équipés de canons anti-aériens ZSU-23-2 se replie vers le nord après avoir massacré la veille les soldats FANT qui ont refusé de se rendre et pris en otage deux humanitaires de MSF. Vers 11h, deux Jaguars escortés par deux Mirage F1 partent en patrouille de reconnaissance en vue de repérer la colonne ennemie. Un des pilotes repère une camionnette et un camion-citerne près de Torodoum (16è parallèle au nord de la ligne rouge). A 15h, trois Jaguars photographient des camions, camions-citernes et canons ZSU-23-2, ainsi que le véhicule de MSF au même endroit. A 16h, deux Jaguars et deux Mirage F1 essuient des tirs de SA-7 qu’ils évitent et ouvrent le feu sur des véhicules. Au même moment, une Gazelle détruit un Toyota avec un missile HOT à environ 130 km au nord de Ziguey.

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Schéma du raid (Extrait de “Puissance aérienne et stratégie” du général Forget)

Finalement, la ligne rouge est remontée au 16è parallèle, mais l’engrenage tant redouté n’a pas lieu. Un second Jaguar est perdu le 16 avril lorsque le Commandant Bernard Voelckel (EC 3/11) s’écrase dans une dune de sable à 8 nm du puits de Siltou (région de Oum Chalouba).

Silure

Le retrait des troupes de Manta est envisagé dès avril 1984 suite à une « demande » de retrait unilatérale du Colonel Kadhafi. En effet, les libyens sont bloqués au nord du Tchad et des dissensions se font sentir entre les forces du GUNT et les troupes libyennes. La coalition GUNT/Libye commence à se désagréger. Le 17 septembre, Paris et Tripoli annoncent un accord de désengagement total des forces françaises et libyennes. Pourtant, le problème de la bande d’Aouzou n’a toujours pas été réglé. En parallèle se déroule l’opération Mirmillon dans le Golfe de Syrte afin de « couvrir » le retrait de Manta. A cette occasion, le 15 octobre, le CC Serge Hébert à bord de son F-8E Crusader engage deux Mirage 5 libyens qui s’enfuient rapidement devant la menace.

Les troupes Manta se retirent progressivement jusqu’à la mi-novembre, mais les libyens trainent des pieds et continuent les travaux d’infrastructure à Ouadi-Doum pour la construction d’une piste qui aurait déjà une longueur de 2000 m. L’accord n’est pas respecté, mais la France continue son désengagement.

De Manta à Epervier

Dès novembre 1984, les missions de reconnaissance sur Ouadi-Doum ont lieu car cette piste inquiète les autorités françaises. Les 18 et 24, deux missions de Mirage IVA survolent Ouadi-Doum, Faya Largeau et Fada (opérations Ombrine et Martre). En 1985, les missions de reconnaissances s’enchainent (opérations Brama, Rétine, Tégénaire et Musaraigne) toujours autour de Ouadi-Doum, Faya Largeau et Fada.

Opération Brama

Lors de l’opération Brama (février 1985), des Mig-23 sont repérés sur la piste de Faya Largeau. La présence de ces chasseurs est inacceptable pour les autorités françaises. Aussi, une action est décidée car N’Djamena est maintenant sous la menace directe de raids libyens.

La préparation de ce raid aérien est assez compliquée en raison des autorisations de survol et des points de recalage pour la navigation. Finalement, courant avril, trois C-135 (dont un poste de commandement) décollent de Solenzara. Ils sont rejoints par un Mirage IV pour la reconnaissance post-strike, ainsi que par la patrouille de Jaguars préalablement ravitaillée. La marine est sollicitée pour le sauvetage, mais également pour l’appui-feu, au cas où … Le Clémenceau se positionne à l’est de la Tunisie et les Crouze et Super-Etendard commencent leurs patrouilles. Après un vol relativement long, les Jaguars survolent la piste de Faya Largeau et mitraillent plusieurs cibles dont deux Mig-23 qui sont détruits. Suite au raid, les libyens rapatrient rapidement leurs Mig sur la base d’Aouzou, la mission est donc un succès.

Opération Musaraigne

A partir de septembre, commence l’opération Musaraigne pour les Jaguars de la 3è Escadre de Chasse basés à Bangui. Le 7 décembre ont lieu les missions n°3 et 4. Au cours de cette dernière, les deux chasseurs sont accrochés par un SA-6. A la fin décembre, la piste est longue de 3800 m. Elle est constituée de plaques de métal posées sur un sol préalablement compacté avec de l’huile. Des « marguerites » sont visibles à chaque extrémité et trois sites de missiles sol-air, un SA-6 et deux SA-13, ainsi qu’un quadritube ZSU-23-4 sont présents. La base militaire est opérationnelle et prête à accueillir tous types d’avions y compris les Tu-22 Blinder. A Paris, la décision est prise de détruire la piste. Une répétition est réalisée en République Centrafricaine, mais la mission est reportée pour une raison inconnue.

Offensive Libyenne et opération Scienne

Début 1986, Chicha est la base libyenne la plus avancée. Une piste sommaire y a été aménagée et trois bataillons de la “légion islamique” y sont installés. Le 10 février, les forces du GUNT et de la Libye déclenchent une vaste offensive au sud du 16è parallèle appuyée par l’aviation (notamment des SF-260). Kouba Olanga est attaquée, puis Oum Chalouba est prise. Le 13, les FANT contre-attaquent et reprennent les deux localités. Le GUNT et les troupes libyennes ayant franchis la ligne rouge, la France décide d’intervenir de nouveau suite à la violation des accords de retraits signés en septembre 1984. Le 14 février, une mission de reconnaissance (Scienne) a lieu dans les environs d’Oum Chalouba.

Opération Epervier

Opération Tryonix

L’opération Epervier démarre avec le premier raid sur Ouadi-Doum (opération Tryonix) en vue de détruire la piste. La base n’accueille pour le moment que des Mi-24 Hind et des avions à hélice SF-260.

Le 16 février 1986, les cinq C-135 décollent de Libreville et les onze Jaguars (11è EC) de Bangui (le douzième tombe en panne à la mise en route). Ils emportent chacun un bidon de 1200 litres. Huit d’entre eux sont équipés de BAP-100, bombes anti-piste conçues pour être larguées à basse altitude. Après le largage, un parachute se déploie pour les stabiliser verticalement, puis la fusée se déclenche et précipite la bombe à très grande vitesse vers le sol où elle s’enfonce profondément avant d’exploser, créant un cratère. Les trois autres Jaguars emportent des bombes de 250 kg.

Préparation des Jaguars à Bangui juste avant le raid (Source RJTE)

Ils sont couverts par quatre Mirage F1C. Après deux ravitaillements, les onze Jaguars, sont en approche de la zone hostile. Ils attaquent en une seule passe pour favoriser au maximum l’effet de surprise.

Dans le virage précédant la prise de l’axe d’attaque, un décalage a lieu et les deux Jaguars extérieurs prennent du retard. Les BAP-100 sont larguées correctement, mais certaines sont entrainées par leur parachutes de part et d’autre de la piste à cause de tourbillons d’air chaud ascendants qui retombent de chaque côté des plaques métalliques. Les BAP s’enfoncent dans le sable et explosent, mais le cône d’éjection est beaucoup plus fermé que d’ordinaire ce qui projette les éclats relativement haut. Les deux derniers Jaguars en retard (équipés de bombes de 250 kg) percutent les fragments sans dommages majeurs. L’un d’entre eux atterrit à Bangui avec une dizaine d’impacts.

Riposte libyenne

La réplique libyenne a lieu le lendemain par l’intermédiaire d’un Tu-22. Celui-ci se présente avec un IFF international en empruntant l’Airway (couloir aérien international) au-dessus du Niger. Après avoir franchi la frontière, il s’approche de la capitale tchadienne à basse altitude. Au moment, où il ouvre ses trappes, les bitubes ouvrent le feu sans ordre particulier et tirent en défilement. Le bombardier largue sa cargaison, mais rate sa cible sans doute perturbé par les tirs. Une seule bombe touche les bords de la piste qui est rapidement réparée. Le Tu-22 repart en direction d’Aouzou. Des avions de reconnaissance US basés au Soudan captent des appels de détresse du pilote du bombardier alors qu’il se trouve dans le nord du Tchad. Il s’écrase à 40 km de sa base par manque de carburant sans que personne ne sache vraiment s’il a été touché par les bitubes ou s’il était en limite d’autonomie pour ce raid …


Installation des missiles à l’aéroport le 19 février 1986 (Source INA)

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Tu-22B libyen intercepté au-dessus de la méditerranée durant l’été 1981 (Source US Navy)

L’activité aérienne s’intensifie au-dessus du Tchad. Le 18 février, un Mirage IV survole Ouadi-Doum (Opération Tobus) afin d’évaluer les dégâts provoqués par le raid. C’est la plus longue mission de reconnaissance jamais réalisée par un Mirage IV (11 heures de vol et 10 000 km parcourus). Le même jour, un Mig-25R survole N’Djamena à très haute altitude tandis que les Mirage F1C et une unité Crotale se déploient sur la base aérienne.

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Le Mirage IVA qui effectua la mission Tobus (le 31 BD) (Source SHD)

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Mig-25RB libyen intercepté le 18 août 1981 dans le Golfe de Syrte (Source US Navy)

Le lendemain, les libyens tentent un nouveau bombardement de la capitale. Le Tu-22 se présente dans les mêmes conditions que son jumeau deux jours plus tôt, mais cette fois-ci, il est attendu par une patrouille de Mirage F1C. Il est intercepté et abattu à 110 km de N’Djamena.

Kadhafi vient de perdre en 48h deux des fleurons de sa flotte aérienne. Epervier entre en scène !

Suite à ces deux attaques, les forces françaises d’Epervier renforcent le dispositif de défense aérienne. Une batterie de missiles sol-air à moyenne portée Hawk du 403° RA est déployée à partir du 5 mars grâce à des C-5A Galaxy de l’USAF. L’ensemble du dispositif aérien sera constitué de dix Jaguars, six Mirage F1C, deux F1CR, un Atlantic et sept Transall basés à N’Djamena, six Jaguars, six Transall et un Atlantic à Bangui, ainsi que deux C-135F et deux Transall à Libreville.

Le ralliement de Weddeye à Habré

Le 5 mars, le GUNT lance une offensive contre les FANT dans la région de Kalait-Oum Chalouba, mais les forces d’Hissène Habre réussissent à repousser cette attaque. Des Jaguars et Mirage F1 français prennent l’air pour parer à toute éventualité, mais n’ont pas à intervenir.

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Offensive d’Oum Chalouba le 5 mars 1986 (Source INA)

Le 17, les FANT décident d’attaquer Chicha en profitant d’une grande tempête de sable qui cloue au sol l’aviation libyenne. La base avancée est conquise rapidement et les trois bataillons de la « légion islamique » présent sont éliminés des effectifs libyens. Les pertes matérielles sont également élevées.

Pendant les six mois qui suivent, la situation sur le front se stabilise, aucune offensive majeure n’a lieu de part et d’autre de la ligne rouge. Au cours de cette période, le GUNT se disloque. Kamougué démissionne de son poste de vice-président, tandis que d’autres opposants se rallient à Habré. En août, les libyens décident de reprendre en main le GUNT à leur manière et Goukouni Weddeye est mis à l’écart. Cette manœuvre va faire basculer les partisans de Weddeye du côté de Habré. Début octobre, ils expulsent les libyens de Fada, mais ces derniers font appel à l’aviation. Malgré la destruction d’un SF-260 par un SA-7 le 4 octobre, les « goukounistes » sont en déroute et se retirent dans le massif de l’Ennedi. Le 24 octobre, un accord de cessez-le-feu et d’alliance militaire est conclu entre l’ex-GUNT et les FANT. Dès lors les accrochages s’amplifient avec les forces libyennes et c’est l’escalade. L’aviation intervient à tout va et subit des pertes. Les FANT revendiquent un SF-260 le 13 novembre à Gouro et un Su-22 le 16. En parallèle, la rébellion se développe dans le Tibesti. Deux autres Su-22 sont abattus les 12 et 19 décembre. Dans la nuit du 16 au 17, deux Transall de l’Armée de l’Air, chargés de 6 000 litres de carburant, de cinq tonnes de munitions, de missiles antiaériens et antichars, ont décollé de N’Djamena et franchi la ligne rouge pour parachuter leur chargement aux défenseurs de Zouar, à plus de 950 kilomètres au nord. Au sol, des forces françaises (Forces Spéciales ou Service Action) se chargent de la récupération des « colis ». D’autres parachutages auront lieu régulièrement. La bataille du Tibesti va durer plus de trois mois et mettre à mal l’aviation libyenne. Quatre Mig-25 et plusieurs SF-260 seront revendiqués par les Tchadiens.

La bataille de Fada

Début janvier 1987, Habré veut profiter de l’engagement des libyens dans le Tibesti pour frapper Fada. La place est défendue par 1200 soldats et 400 « coopérants » tchadiens de l’ex-GUNT équipés de 200 blindés dont 50 T-55. Sur la piste stationnent six SF-260 et plusieurs Mi-25. L’attaque du 2 janvier est foudroyante. Les blindés sont détruits au RPG-7 ou au Milan dont c’est le baptême du feu. Vers 10h, un Antonov décolle de la piste sous le feu avec tout l’état majeur libyen à son bord. La victoire est écrasante et le butin considérable : six SF-260, un Mi-25, des SA-7 et SA-9, ainsi qu’un radar Flat Face. Le 4, un Mi-25 est abattu au-dessus de la piste par un SA-7 suivi d’un Su-22 le lendemain. Les jours suivants, l’aviation libyenne bombarde de beaucoup plus haut pour ne pas être vulnérable au SAM, mais les raids manquent de précision.

Le 4 janvier, des Mig-23 en provenance de Ouadi-Doum franchissent la ligne rouge pour frapper Oum-Chalouba (où se situe le 2è REI) et Arada, Khadafi cherchant l’escalade. Les forces françaises sont alors contraintes de riposter.

Ouadi-Doum 2

Contrairement à l’opération Trionyx, ce n’est pas la piste qui est visée cette fois-ci, mais les installations radars de la base. Le 6 janvier, une première tentative a lieu. Trois Jaguars de l’EC 3/3 « Ardennes » équipés d’AS-37 Martel et escorté par des Mirage F1 décollent pour le nord du Tchad, mais les radars ne sont pas allumés. Retour sur la base de N’Djamena. Afin que le radar de Ouadi-Doum s’active, il est décidé de faire une diversion en allant « allumer » le radar de Faya-Largeau qui déclenchera l’alerte radar à Ouadi-Doum. Le lendemain, deux F1CR de l’ER 1/33 « Belfort » décollent de la capitale en direction du nord-ouest du Tchad et quatre Jaguars prennent la direction de la base libyenne par l’est puis le nord. Au nord-ouest de Faya, les F1CR montent à 6000 pieds et déclenchent l’alerte qui est relayée à Ouadi-Doum. Les Jaguars arrivant à très basse altitude captent une émission qui semble être le Flat Face principal. Un seul missile est tiré et les Jaguars font demi-tour. Les F1CR quant à eux plongent à basse altitude et prennent la direction du sud à grande vitesse. Ils sont vraisemblablement poursuivis par un Mig-23 sur une centaine de kilomètres, mais celui-ci ne peut les rattraper à cause de son manque d’autonomie. En effet, après l’attaque au sud de la ligne rouge le 4 janvier, les chasseurs ont quitté Ouadi-Doum pour se replier sur Aouzou et les bases du sud de la Libye.

Le Martel semble avoir atteint sa cible, mais c’est la cabine technique devant le radar sur l’axe de tir qui est détruite, le missile s’étant verrouillé sur le rayonnement réfléchi par le toit. Le radar s’éteint de lui-même sans être détruit et la cabine ne sera jamais remplacée jusqu’à la prise de la base par les FANT en mars.

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La chute de Ouadi-Doum

Ouadi-Doum est le « porte-avion des sables » libyen. Cette base peut accueillir les gros porteurs Il-76 et les bombardiers Tu-22, mais Kadhafi n’y concentrera ses avions de combat que ponctuellement. La bataille débute les 19 et 20 mars par les deux embuscades de Bir-Koura où les libyens perdent près de 800 hommes et 120 prisonniers. En riposte, Fada est bombardée. La garnison de Ouadi-Doum a un effectif de 4000 hommes environ, mais Habré est décidé à couler le « porte avion ». Près de 2500 FANT se lancent à l’assaut de la place forte qui tombe en quelques heures, un C-130 décollant littéralement sous le feu d’un Milan. La prise de la base est un succès phénoménal et les pertes libyennes sont catastrophiques (près de 1300 tués). Au niveau aérien, douze SF-260, cinq L-39 et trois Mi-25 sont capturés et plusieurs hélicoptères sont détruits au sol. Plusieurs systèmes sol-air sont également récupérés : deux unités SA-6, deux ZSU 23-4 et deux SA-13.
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Le butin de Ouadi-Doum

Ce butin exceptionnel intéresse français et américains, mais Moscou ne souhaite pas voir tomber aux mains des occidentaux tout cet arsenal. Aussi, la pression est mise sur les libyens et dans les jours et semaines qui suivent, la base est bombardée plusieurs fois par jour à une haute altitude par les Tu-22, Su-22 et Mirage. Les largages manquent de précision, mais une bombe de 500 kg réussi à souffler cinq SF-260. Des forces françaises présentes sur place pour évaluer et récupérer du matériel subissent également ces raids. Une des unités de SA-13 est remise en service, mais la demande d’autorisation de tir sur les Tu-22 est refusée par Paris (aucune force française n’est censée être présente au nord du 16è parallèle). L’une de ces unités sera utilisée pour la formation des FANT, puis une autre, lors de la bataille d’Aouzou.

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Flat-Face récupéré à Fada, SA-6 et Straight Flush ramené de Ouadi-Doum vus à Mont-de-Marsan (DR)

Après la chute de Ouadi-Doum, la route vers Faya Largeau est ouverte et la ville tombe le 27 mars sans combats car les libyens, coupés de leurs lignes de ravitaillement, se replient vers le Tibesti. Ounianga Kebir est libéré le 30 mars et tout le BET tombe rapidement. La reconquête du Tibesti peut commencer.

« Jour de la libération »

Le 7 juin a lieu la fête nationale tchadienne (« Jour de la libération ») correspondant à la date anniversaire de la prise du pouvoir par Habré en 1982. Celui-ci souhaite que cette commémoration ait lieu à Faya, sa ville natale, récemment libérée. Aussi, les Mirage F1 sont sollicités pour l’escorte de l’avion présidentiel, ainsi que pour la couverture aérienne. En cours de journée, un Il-76, en mission d’observation, est intercepté. Les F1 exécutent un tir de semonce pour le faire dégager et le raccompagne hors de la zone. Aucun autre avion libyen n’est aperçu ensuite.

Jaguars et Mirage F1 au-delà de la ligne rouge

Excepté pour les deux interventions sur Ouadi-Doum et la couverture aérienne de Faya, aucun chasseur de l’Armée de l’Air ne franchit officiellement le 16è parallèle (pas de forces françaises au nord de la ligne rouge …), la France ne voulant en aucun cas s’engager dans une guerre ouverte avec la Libye. Mais, officieusement, il n’en est rien. Les Mirages et Jaguars interviennent assez souvent dans le nord du Tchad pour des missions de reconnaissance, mais également pour des actions plus offensives.

Déjà, Le 25 mars 1986, la première mission de reconnaissance aérienne des Mirage F1CR de la 33è Escadre de Reconnaissance (arrivés le 17) a lieu dans la région de Fada.

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Mirage F1CR au-dessus du Tchad (Source Armée de l’Air)

Guidés par les Forces Spéciales ou le Service Action, des Jaguars interviennent également de temps en temps sur des colonnes du GUNT. En octobre-novembre 1986, deux d’entre eux escortés par un Mirage F1C détruisent ainsi huit camions et deux AML au canon et à l’aide de roquettes près de Terkezi au nord-ouest de Fada (cf. « Mission Oxygène », Patrick du Morne Vert).

Plusieurs engagements ont également lieu entre les Mirage F1 et des chasseurs libyens au nord-ouest de Fada, mais ces derniers décrochent rapidement car leur rayon d’action leur laisse peu de marge (ils ne peuvent pas être ravitaillés en vol). Au cours de ces accrochages, il semblerait qu’au moins un Fitter libyen ait été abattu en combat aérien. Les libyens perdent également un Mig-23 et un Su-17 à 180 km au nord-est de Fada suite à des défaillances techniques.

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Su-22 intercepté dans le Golfe de Syrte dans les années 80 (Source US Navy)

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Mig-23 intercepté dans le Golfe de Syrte dans les années 80 (Source US Navy)

Les quatre batailles d’Aouzou

Après la reconquête de BET, les FANT sont engagés dans le Tibesti. La base d’Aouzou-Tanoa se situe sur la frontière Tchado-Libyenne et ses chasseurs-bombardiers sont à dix minutes de vol d’Aouzou-village. Le 8 août, une force de 400 FANT libère la ville au prix de 650 tués libyens. La réaction libyenne est tout d’abord aérienne avec des bombardements sur Aouzou, Faya et Ounianga-Kébir. Lorsque Kouba-Olanga, au sud de la ligne rouge, est attaqué, la France, lance un avertissement à Kadhafi. Le 14 août, une première tentative pour reprendre la ville est repoussée. La seconde le 19, est violente et meurtrière. Les libyens engagent fortement l’aviation et les pertes sont toutes aussi importantes dans les jours qui suivent : six Mig-23, un Su-22, deux Mi-8, un Mi-25 sont abattus et surtout un Tu-22 par un des SA-6 capturés à Ouadi-Doum. Le 21, un Mirage 5 est abattu au-dessus de Bardaï, probablement par des forces françaises. Le 25, un autre Mirage est abattu vers Ounangia-Kébir. Malgré l’importance des combats, Aouzou n’est toujours pas reprise par les libyens. La troisième contre-attaque est la bonne, le 28 août, Tripoli annonce la « libération » de la ville par les forces libyennes. Lors des combats, les bombardements aériens sont plus précis que lors des précédentes attaques et les FANT ne sont plus que 400 pour défendre la ville face à 4000 hommes dont beaucoup d’unités de commandos de la Garde libyenne. Aucun avion n’est abattu ce jour-là signe que les Tchadiens sont certainement à cours de missiles SA-7 et Redeye, voir de Milan.

Bombardements sur Faya

Depuis mai 1987, un détachement du 17è RGP (Régiment de Génie Parachutiste) et des artilleurs sol-air du 11è RAMa (Régiment d’Artillerie de Marine) équipés de quatre pièces Stinger sont présents à Faya Largeau, mais de façon officieuse. Le 17è RGP a en charge la périlleuse tâche de déminage des abords de la ville et de sa palmeraie. La prise d’Aouzou le 8 août entraine une riposte libyenne et des bombardements ont lieu notamment sur Faya Largeau. Le 11, un double bombardement (sans doute par des Tu-22) est effectué, mais les SA-7 sont impuissants car les avions évoluent hors domaine de tir. Le 25, un Il-76 largue une « palette » de huit bombes freinées. Le 30, la ville est bombardée deux fois par un Il-76. Un Stinger est tiré par une des pièces française, mais s’autodétruit en limite de portée sans avoir atteint le bombardier.

Le raid sur Maaten-es-Sara

Suite à la perte d’Aouzou et aux bombardements incessants des villes du nord, Habré s’est décidé pour une attaque des libyens chez eux. La base aérienne de Maaten-es-Sara se situe en territoire libyen à 90 km de la frontière. Selon N’Djamena, c’est de cette base que parte une bonne partie des raids aériens. C’est un objectif majeur, un Ouadi-Doum bis, avec une capacité supérieure grâce à ses vastes airs de stationnement.

Le 5 septembre, une force de 2000 FANT équipés de Toyota franchit la frontière et contourne ce second « porte-avion » des sables par l’est afin de l’attaquer par le nord-est à partir de la piste Koufra-Sara. L’attaque va durer toute la journée, les FANT détruisant méthodiquement toutes les cibles qui ne peuvent être ramenées (aéronefs, missiles sol-air, radars, dépôts de carburant, …). Les pertes sont lourdes côté libyens : environ 1700 tués et 300 prisonniers. Trois Mig-23 en provenance de Koufra et un Mi-25 sont abattus, tandis que 22 aéronefs sont détruits au sol (six Mig-21, cinq Su-22, quatre Mirage F1, quatre L-39, deux SF-260 et un Mi-25).

La riposte du 7 septembre

Kadhafi vient de subir une humiliation après l’attaque des FANT en territoire libyen. Il accuse la France d’être derrière cette opération. Le 6 septembre au soir, les services de renseignement français font état d’une activité aérienne importante sur des bases libyennes avec notamment le décollage de Tu-22 en direction du sud. Les forces françaises au Tchad sont en alerte noire. Le 7 septembre, dès 5 heures, deux patrouilles de Mirage F1C décollent de N’Djamena soutenu par un C-135F et un Breguet Atlantic. A 6h55, le radar Centaure détecte une piste à une centaine de kilomètres de la capitale le long de la frontière Tchad-Niger. Une des patrouilles de Mirage est rappelée pour intercepter cette cible qui évolue au-dessus du Nigéria à ce moment-là. L’objectif est rapidement classé « hostile » par le contrôleur du CETAC (CEllule de contrôle TACtique), de par sa vitesse, son altitude et son cap. Les pilotes, quant à eux, observent deux contacts sur leurs radars. Une fois la frontière franchit, un des Mirage engage la cible et tire un missile Matra Super 530, mais en limite de domaine et celui-ci rate son objectif. Le contrôleur fait rapidement dégager les chasseurs et donne la main au 403è RA pour un tir Hawk.

Le Tu-22 est maintenant très proche. Un premier missile ne part pas, un second est tiré. Il atteint sa cible qui est détruite alors que les trappes sont ouvertes. Les quatre bombes sont éjectées sans avoir été armées et n’explosent pas au sol, mais l’usine de Gala (bière locale) est touchée au grand damne des militaires d’Epervier … Le bombardier était si proche que le Hawk n’a pas eu le temps de s’armer et abat le Tu-22 uniquement par son énergie cinétique à l’impact, il est 7h. Entre le moment où le Tupolev est détecté, puis abattu, il ne se passe que cinq minutes.


Débris du Tu-22 abattu

Au sol, les militaires voient un second Tu-22 réalisé une manœuvre évasive juste après la destruction de son leader. Les Mirage, toujours en vol, signalent un second contact radar. L’ordre de poursuite et d’engagement est donné, mais le contact est perdu à une dizaine de kilomètres des chasseurs.

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Sur la base d’Abéché, depuis la veille, le radar Centaure est en panne, la détection à basse altitude ne fonctionne plus. Vers 8h30, un Tu-22, en parti masqué par le soleil, se présente dans l’axe de la piste. L’officier de tir Crotale identifie rapidement le bombardier et déclenche le feu. Quatre missiles sont tirés, mais trois ratent leur cible (deux pour raisons techniques, le troisième en limite de tir). A la vue du départ des Crotales, le Tupolev effectue une manœuvre évasive. Le quatrième missile poursuit sa cible qui tire dans sa direction au canon NR-23 situé sur la tourelle de queue. Il explose assez près, à l’arrière du Tu-22 et endommage un des réacteurs. Les bombes sont larguées près de la piste, mais n’occasionnent aucun dégât. Il repart vers le Soudan avec un réacteur crachant de la fumée noir.

Comme en février 1986, la riposte libyenne est un échec. Kadhafi vient de perdre de nouveau un des fleurons de sa flotte aérienne et un autre est endommagé sans pour autant avoir inquiété les forces d’Epervier. Le soir même, un Mig-25 survole N’Djamena à très haute altitude.

L’incident du C-141

Durant Epervier, la circulation aérienne au-dessus du Tchad est restreinte et une zone précise est interdite au survol de tout aéronef, du sol à un plafond illimité. Cette zone s’étend du 16è parallèle aux abords de N’Djamena. Ces mesures de circulation aérienne ne sont pas toujours respectées en particulier pour les vols civils qui cherchent à économiser du carburant en coupant au travers de la zone interdite, ce qui met un peu d’animation …

Deux jours après l’échec du bombardement libyen, un avion inconnu survole le Tchad en direction de la capitale. Il vole en subsonique et ne répond pas aux appels radio, aussi une patrouille de F1C en alerte part l’intercepter, tandis que les batteries Hawk l’accroche au radar prêtes à faire feu. Le leader l’identifie comme étant un Il-76 identique à ceux qui avaient bombardé Faya Largeau. Il fait aussitôt l’objet d’une séquence de tir et à cinq secondes du lancement du missile, il est in extremis identifié comme un C-141 US par l’autre Mirage. Ces deux avions (Il-76 et C-141) sont similaires en apparence et comme la tension est encore grande après les raids libyens, personne ne veut prendre de risques. La bavure est évitée de justesse. L’équipage américain est « sermonné » et les consignes sont passées à l’ensemble des équipages qui volent au-dessus de l’Afrique afin qu’ils ne pénètrent pas dans l’espace aérien tchadien.

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Le C-141A qui a failli être abattu (DR)

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Itinéraire suivi par le C-141 (Source : c141heaven)

Faya de nouveau bombardé

Le 9 septembre, le Tchad et la Libye annoncent l’ouverture de pourparlers de paix, notamment sous la pression de l’OUA (Organisation de l’Union Africaine) et de la France. En effet, la bataille d’Aouzou et le raid sur Sara démontrent que le conflit dégénère en guerre totale entre les deux états.

Cette annonce n’empêche pas Kadhafi de lancer un dernier raid aérien sur la ville de Faya Largeau le lendemain. Vers 16h, un Tu-22 escorté par des Mig, effectue un bombardement aller-retour en larguant dix bombes de 500 kg. Il réalise son approche dans le soleil ce qui fait qu’il est vu trop tard pour le premier passage et donne seulement lieu à une alerte. Au second passage, deux missiles sont tirés, un Stinger par le 11è RAMa et un SA-7 par les Tchadiens. Le Tu-22 active son auto-défense en tirant au canon NR-23 et en larguant des leurres infrarouges. De plus, son altitude le met hors de portée des deux missiles dont l’un s’autodétruit lorsqu’il arrive en limite de volume de tir. Les bombes tombent sur la ville et un dépôt de munitions. Les victimes, majoritairement civiles, sont nombreuses.

On constate une nouvelle fois, que si l’objectif libyen était les forces françaises présentes à Faya, le raid est un échec. Mais qui était réellement visé et pourquoi maintenant … ?

Le cessez le feu du 11 septembre 1987

Le 10 septembre, le Tchad et la Libye décident qu’un cessez-le-feu sera effectif dès le lendemain midi. Personne ne croit à cette annonce et pense plutôt à une ruse de Kadhafi. Mais, les deux belligérants sont enfin décidés à négocier. Pour les libyens, la guerre n’a que trop coûté : 8000 soldats, 500 blindés et plus d’une centaine d’aéronefs dont quatre Tu-22 (Il faut cependant relativiser ces chiffres qui sont basés en grande partie sur les revendications tchadiennes, les FANT ayant tendance à surévaluer les pertes adverses).

Les patrouilles aériennes libyennes continuent cependant. En effet, Kadhafi estime que tout mouvement sans ouverture du feu respecte l’accord. En octobre, les premiers missiles Stinger sont livrés par les USA aux FANT. Le 8 octobre, ils abattent un Su-22 et un Mig-23 dans le nord.

Printemps 1988, Epervier en alerte

En mars 1988, les forces françaises d’Epervier sont en état d’alerte. En effet, les services de renseignements ont constaté d’importants mouvements de troupes dans le sud libyen. Les bases aériennes de Timou, Tanoua et Maaten-es-Sara ont subi des travaux de protection afin de les rendre moins vulnérables aux raids tchadiens. Les escadrilles d’avions et d’hélicoptères y ont été renforcées, ainsi que sur les bases plus lointaines d’Al-Katrun, Sebha et Al-Khofra. Une puissante offensive semble en préparation juste avant le premier tour de l’élection présidentielle française et avant la rencontre entre Kadhafi et Habré le 10 avril à Dakar sous les auspices de l’OUA.

Depuis juillet 1987, la base d’Abéché est opérationnelle et les Jaguars et Mirage F1 y stationnent en permanence. Le nord et l’est du Tchad sont donc à portée des chasseurs français sans ravitaillement en vol ce qui laisse peu d’option aux libyens s’ils veulent s’engager dans une nouvelle offensive : le nord-ouest en passant par le Niger sous la protection des appareils basés à Timou et Tanoua.

Aussi, les militaires français décident avec l’accord du Niger, de renforcer la piste de Dirkou, à 35 kilomètres au nord de Bilma, pour la rendre accessible aux Transall, C-130 et même aux Jaguar si nécessaire. Mais, finalement, Kadhafi ne bougera pas.

L’avion fantôme de Faya

Début juillet 1988, Epervier est de nouveau en alerte. Du 7 au 9 a lieu une réunion des ministres des Affaires Etrangères tchadiens et libyens à Libreville au Gabon. Comme à chaque rencontre de ce type, on craint un mauvais coup de Kadhafi.

A Faya Largeau, la défense anti-aérienne est à la charge du 35è RAP (Régiment d’Artillerie Parachutiste). Pour cela, il dispose de trois pièces Stinger disposées en trois positions autour du rocher de Mao.

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Le rocher de Mao (DR)

Le rocher de Mao est un des éléments qui est pris en compte dans les critères d’identifications amis ou ennemis. Quel que soit l’aéronef, il doit se présenter face à ce rocher, allumer le feu, répondre à l’identification IFF et ainsi répondre aux critères amis.

Le 7 juillet, aux environs de 20h locale, un aéronef est en approche de Faya à environ 400/500 mètres d’altitude. Il fait un premier passage sans respecter les critères d’identification. Sa soute arrière est ouverte et éclairée, et laisse échapper de la vapeur ! L’alerte chimique est déclenchée et tout le monde passe la tenue NBC. Les artilleurs ont l’autorisation de tirer. Au second passage, l’avion, identifié comme un « type » C-130, allume sont projecteur. Il se situe à 3 ou 4 km lors de l’ouverture du feu. Les trois pièces tirent leurs Stinger. Le premier a un incident technique, le second s’autodétruit car hors de portée, le troisième atteint sa cible et explose. L’alerte noire est maintenue pour le reste de la nuit. Le lendemain, la zone est interdite et un Breguet Atlantic effectue un survol de celle-ci pendant 15 minutes et repart. Les équipes sont rapidement relevées sans que les artilleurs ne sachent quelle cible avait été atteinte.

En fait, l’appareil inconnu était bien un C-130. En 1988, il avait été décidé de ré-ouvrir la piste aérienne de Faya Largeau. Les premiers travaux consistaient à l’aplanir à nouveau puis à la durcir afin que des C-130 et des C-160 puissent s’y poser lourdement chargé. Une des options pour la durcir était l’épandage d’huile lourde spéciale le soir pour qu’elle pénètre bien la nuit dans le sable afin de faire une croute très épaisse ensuite au soleil. C’est un de ces avions d’épandage d’huile qui s’est présenté au-dessus de Faya le soir du 7 juillet. Le C-130 fut endommagé et « troué », mais n’a pas été abattu, par contre la société civile qui le mettait en œuvre n’a jamais voulu revenir.

Que faisait cet avion civil ce soir-là sur une zone aussi sensible que Faya Largeau alors que les forces d’Epervier étaient en alerte ? Pourquoi n’a-t-il pas respecté les critères d’identification sachant qu’il allait réaliser un épandage, action considérée comme hostile dans les règles d’engagement ?

Ce n’est pas la première fois qu’un avion civil ou militaire ne respecte pas les règles d’identification. On se souvient du C-141 de l’USAF au-dessus de N’djamena en septembre 1987. L’action s’était déroulée de jour, ce qui permit au chasseur de l’identifier au dernier moment. Mais, dans le cas de Faya, il faisait nuit et surtout, il y a eu cet épandage en plus du non-respect des critères amis ou ennemis, ce qui n’a laissé aucun doute à la Défense Anti-aérienne quant au caractère hostile de l’appareil. Heureusement pour l’équipage, il n’a été qu’endommagé.

L’intervention ou le passage d’avions civils sur les zones de conflits pose très souvent des problèmes, notamment par la méconnaissance des équipages des risques encourus si certaines règles ne sont pas respectées. Dans des circonstances similaires, le 8 décembre 1988, un DC-7 de la société T&G Aviation affrétés par USAID et utilisé pour l’épandage contre les criquets, a été abattu et un second endommagé au-dessus du Sahara Occidental. Le Polisario, les avait confondus avec des C-130 marocains. Un des deux équipages avait eu moins de chance que celui de Faya Largeau.

La réunion tchado-libyenne de Libreville ne donnera aucun résultat, les libyens exigeant la libération des prisonniers de guerre avant toute discussion.

Normalisation

Du 21 au 25 août 1989, une réunion de négociation a lieu à Paris entre émissaires tchadiens et libyens sous médiation algérienne. Elle aboutit à la signature de l’accord d’Alger entre les deux protagonistes le 31 août 1989. Finalement, en 1994, la cour internationale de justice de la Haye valide la souveraineté tchadienne sur la bande d’Aouzou.

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