7 décembre 1841| Les différentes armées d’Afrique nées des ordonnances royales françaises

L’armée d’Afrique remonte à la conquête de l’algèrie en 1830, et désigne les unités stationnées en Algèrie, dans les protectorats du Maroc, de la Tunisie et du Sahara durant la période coloniale. A ce titre, elle se distingue de l’armée coloniale.
C’est la monarchie de juillet qui créa l’armée d’Afrique, aprés le débarquement du corps expéditionnaire français à Sidi-ferruch. Dés le début les français utilisèrent des troupes indigènes, connaissant mieux le pays, l’adversaire, et mieux adaptées au climat (Les premiers furent des Kabyles de la tribu des Zouaouas, d’où le nom de zouaves). C’est le vote de la loi constitutionnelle du 9 mars 1831 qui “autorise la formation d’une légion d’étrangers en France, et de corps militaires composés d’indigènes et d’étrangers hors du territoire continental”. Elle stipule, dans son article 2 que “les généraux en chef, commandants les pays occupés par les armées françaises, hors du territoire continental, pourront être autorisés à former des corps militaires composés d’indigènes et d’étrangers”.
Des ordonnances royales du 7 décembre 1841 ont d’autre part été à la base de l’organisation des troupes indigènes et ont consacré leur existence, les dotant d’un statut en harmonie avec celui des autres corps d’Afrique française, parmi lesquels elles prenaient rang. Ont ainsi été créés l’infanterie indigène (tirailleurs) ainsi que la cavalerie indigène (Spahis).
Les Différentes Unités de l’Armée d’Afrique
Les zouaves (zouzous): Créés en 1830 et composés en majorité d’européens, ils doivent leur nom à la tribu kabyle des zouaouas. Ceux-ci fournissaient des soldats aux turcs sous la régence d’Alger, puis aux français aprés le débarquement de Sidi-Ferruch. C’est lors de la création des tirailleurs algèriens, composés en majorité d’indigènes, que les zouaves furent recrutés majoritairement parmi les européens. Leur devise était: « Être zouave est un honneur. Le rester est un devoir. »
On créa dabord un bataillon de zouaves, puis un second. En1842 un troisième vit le jour. Bien que ne formant qu’un régiment ils combattirent le plus souvent isolément, le premier fut affecté dans la région de Blida, le second à Tlemcen, le troisième à Bône. Ces soldats de grande valeur avaient l’habitude de dire: Il n’y a qu’un régiment de zouaves, comme il n’y a qu’un dieu, comme il n’y a qu’un soleil. Un décret de 1852 créa trois régiments de zouaves, avec pour noyau les précédents bataillons. Le 1er bataillon forma le noyau du 1er régiment qui fut affecté à la province d’Alger. Le 2e bataillon forma le noyau du 2e régiment, destiné à la province d’Oran. Le 3e bataillon forma le noyau du 3e régiment affecté à la province de Constantine.
Ils servirent ensuite hors d’Afrique, lors de la guerre de crimée (où fut créé un quatrième régiment), d’Italie, du mexique et enfin celle de 1870, où ils firent preuve de grande qualités guerrières. A noter que des zouaves figuraient dans la garde impériale (re)créee par Napoléon III.
En 1872 aprés quelques péripéties, la jeune troisième république reconstitue les quatre régiments de zouaves. Ils participeront à la grande guerre où ils se battront heroïquement.
L’uniforme des zouaves est assez compliqué, et inconfortable. Les zouaves portaient une chéchia garance, une veste bleue foncé courte et ajustée sans boutons, un gilet sans manche en drap bleu foncé, une large ceinture de toile bleue longue de trois mètres enroulée autour de la taille, un pantalon bouffant, des guêtres blanches et des jambières. Ils pouvaient en outre porter le turban (vert, puis blanc à partir de 1859) en plus de la chéchia.

Zouaves durant la guerre franco-prussienne
Le pantalon bouffant à la turque est en drap garance pour l’hiver et la grande tenue, en toile blanche pour l’été et les marches. Il est lié au jarret au moyen d’un cordonnet en coton noir, soutenu par une haute guêtre en toile blanche pour la garnison, en peau pour les marches, plus tard en drap noir. Jusqu’en 1873, les zouaves portèrent des jambières ou molletières en cuir fauve. Au bas du pantalon, le fameux trou de Lamoricière permettant de laisser passer l’eau qui pouvait s’engouffrer lors du passage des oueds…
La ceinture était l’élément le plus difficile à mettre, le zouave devant souvent appeler à l’aide un de ses compagnons. Le style de cet uniforme, variant totalement de celui des autres types d’infanterie français, a pour origine le style vestimentaire des populations kabyles de l’époque. L’uniforme zouave était cependant particulièrement adapté aux climats chauds et rudes de la montagne algérienne. Les culottes bouffantes permettaient une meilleure circulation de l’air que le pantalon, et la veste courte était plus fraîche que les longues chemises de laine de la plupart des armées contemporaines. Une des raisons du petit nombre d’unités de zouaves dans les armées de l’époque était le coût supplémentaire de cet uniforme particulier, supérieur à celui des uniformes à la coupe simple et produits en grande série des autres unités.
Les officiers avaient quant à eux une tunique de drap noir boutonnée sur le milieu de la poitrine, avec jupe formant des plis. Sur les manches, les galons en soutaches d’or affectaient la forme du nœud hongrois. Le pantalon était de drap garance à bande noire ou en toile blanche suivant les saisons, retombant en plis sur la botte. Les officiers portaient le képi, mais beaucoup l’avaient remplacé par la chéchia et Lamoricière lui-même en donnait l’exemple, mode qui devait revenir pendant la guerre de 1914-1918.
Les tirailleurs algériens (turcos): Créés officiellement en 1841 et composés en majorité d’indigènes, ils servent dabord à la conquête et la pacification, puis de force de souveraineté. Les tirailleurs algériens descendent des unités d’infanterie turque, des garnisons turques de la Régence récupérées au fur et à mesure de la conquête. Leur surnom de turcos vient selon toute vraisemblance de cette origine ottomane.
Les trois premiers bataillons (Alger, Oran, Constantine) sont indépendants. Ils sont renforcés en 1852, en même temps que la création des régiments de zouaves. Tout comme eux ils participèrent aux campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique et de la guerre de 1870. Ils coopérérent aussi à des expéditions en cochinchine et au Sénégal, toujours sous Napoléon III, qui décida en outre d’en incorporer un bataillon dans la garde impériale.
Tirailleurs algériens vers 1860
Le premier régiment est créé pour la campagne de Crimée (1854), à partir de contingents venant des trois bataillons d’origine. En 1855 est rajouté un bataillon dans chacune des trois provinces algèriennes. Puis devant la démonstration de leur valeur lors de la guerre de crimée, trois régiments furent crées dans chacune des trois provinces, cette même année, englobant les six bataillons ancien et nouveaux ainsi que le régiment de l’armée d’orient. Ces créations furent effectives le premier janvier 1856.
Tirailleurs algériens durant la guerre de 1870
L’uniforme comprend une coiffure, la chéchia, une veste portée sur un gilet sans manches, et le sarouel, pantalon ample à nombreux plis, le tout assez semblable à celui des zouaves, sauf la couleur bleu clair et tresses jonquilles. Les officiers revêtirent la tunique bleue ciel, avec pantalon garance à large bande bleue.

Tirailleurs algèriens traversant une rivière – début de la grande guerre
Tous les régiments de tirailleurs indigènes ont participé à la pacification du Maroc, certains ont participé aux autres conquêtes coloniales, Tunisie, Indochine, Afrique-Noire. En 1913 de nouveaux bataillons furent créés en même temps qu’un réorganisation de l’armée d’Afrique, portant à 9 le nombre de régiments, dont les bataillons stationnérent en Algérie, en Tunisie et au Maroc.
Les chasseurs d’Afrique: Créés en 1831 et composés en majorité d’européens, il s’agit de régiments de cavalerie.

Shako de chasseurs d’Afrique – non recouvert de sa housse
Les Saphis: Créés en 1843 (mais existant de fait depuis plus de dix ans) et composés en majorité d’indigènes, ce sont des régiments de cavalerie. A l’origine troupes supplétives irrégulières ottomanes, ils se mettent au service des français lors de la conquête de l’Algèrie. On créa par la suite des régiments de spahis en dehors d’Algèrie, notamment au Maroc.
A l’origine leur manteau était vert, couleur de l’Islam. Mais les effectifs croissant et la teinture verte se raréfiant, l’intendance eut recours au bleu foncé de l’uniforme français.Les cavaliers arabes refusèrent ces burnous bleus qu’ils donnèrent à leurs esclaves dans leurs tribus, car cette couleur était celle des manteaux des juifs de l’époque! L’intendance se reporte alors sur la couleur garance utilisée pour les pantalons des fantassin, et c’est ainsi que désormais le rouge devient la couleur traditionnelle des burnous des spahis algériens

Spahis lors d’une opération dans le sud algèrien (supplément illustré du petit journal dimanche 28 mars 1897):
En 1917, les spahis marocains sont engagés dans la campagne d’Orient. Très mal équipés, pour se prémunir du froid et remplacer leurs vêtements en loques, ils utilisent des couvertures marron et kaki de l’intendance dans lesquelles ils se taillent des burnous. A la proposition de l’intendance de leur fournir des burnous règlementaires, ils refusent la couleur garance et exigent le bleu nuit qui est la couleur portée par leurs notables berbères, ce qui leur fut accordé. Les spahis marocains se distinguent depuis des algériens en portant le burnous bleu.
Les bataillons d’infanterie légère d’Afrique (Bat d’Af, “zéphyrs” ou “joyeux”): Créés en 1832, quand une ordonnance royale autorisa la création de deux bataillons d’infanterie légère d’Afrique, chacun à huit compagnies, ces unités sont considérées comme disciplinaires, bien qu’elles ne le soient pas au sens strict, leur recrutement se composait notamment de gens condamnés dans le civil et de militaires sanctionnés aprés un passage en unités de diciplines. On y trouvait aussi des engagés volontaires. La discipline était nettement plus forte que dans les autres corps d’armée.

Spahis lors du conflit franco-prussien
Plus que des unités disciplinaires, il s’agissait de corps d’épreuve, éprouvés par toutes les fatigues et toutes les misères des actions de guerre ou de pacification auxquelles on les soumettait. De ces longues et épuisantes colonnes dans le bled, les “bataillons” revenaient éreintés, les vêtements en lambeaux, pieds nus ou presque. Mais on les voyait passer la gouaille aux lèvres, joyeux dans ces haillons et les loustics de caserne les surnommèrent “zéphyrs à poils”. Puis on les appela tout simplement “les joyeux” : des têtes à l’envers, des écervelés, mais comptant dans leurs rangs beaucoup de braves gens. Partout où ils sont allés, on a rendu justice à leur courage. Leur nom réglementaire est “chasseur des bataillons d’infanterie légère d’Afrique”.
Ils fournissent un appoint non négligeable à l’armée d’Afrique. Ils participèrent aux opérations de pacifications en Algérie, au Maroc et au Tonkin. On les vit aussi à la guerre de 1870. Composés de cinq bataillons en 1914, ils participérent à la grande guerre grâce à la mise sur pieds de bataillons de marche.
Avant 1914 l’uniforme était sensiblement le même que celui de la Légion étrangère, avec la ceinture bleue et le col de la tunique jonquille. Les galons de laine étaient jonquille, le passepoil du képi également. L’insigne distinctif était le cor de chasse (au lieu de la grenade à sept branches). Les épaulettes avaient le corps rouge et les franges vertes. Les officiers, même uniforme que ceux de la Légion, avec boutons et galons d’argent, plumet vert comme aux chasseurs à pied. Ecussons de col du drap de fond et chiffres violets (pour la troupe).
Les compagnies méharistes sahariennes (Escadrons Blancs): Créées de fait dés 1884, puis officialisées en 1902, et composées en majorité d’indigènes, elles devaient controler le Sahara et jouèrent un grand role dans le contrôle français de ces territoires. Véritables sentinelles du désert, ces compagnies furent alors chargées de la pacification des zones touareg, de travaux topographiques, de la surveillance des caravanes et des pistes, de la surveillance des frontières, etc. Elles étaient montées sur cheval ou dromadaires (alias méharis), parfois équipées de véhicules adaptés au désert.
50 ans aprés la conquête de l’Algèrie, le Sahara était en effet toujours une zone inconnue, et le massacre de la mission Flatters en 1881 arrêta pour quelques temps toutes tentatives. Une loi du 5 décembre 1894 porta création des troupes spéciales sahariennes comprenant un escadron de spahis sahariens sur méhari et une compagnie de tirailleurs sahariens. En 1889, le succès de la mission Foureau-Lamy devait redonner corps à l’idée d’une “Afrique française”. Le capitaine Pein fut amené à occuper In Salah le 29 décembre 1899 et cette opération devait déclencher l’occupation et la soumission de toutes les oasis sahariennes. Il fallait maintenant soumettre les nomades et ce n’était pas chose aisée, nos colonnes n’ayant pas la mobilité nécessaire pour poursuivre ces pillards qui allaient prélever périodiquement de fortes dîmes dans les oasis. Le commandant François-henry Laperrine, saharien averti, réussit à faire adopter le remplacement des spahis et des tirailleurs sahariens par des unités nouvelles encadrées par des officiers des Affaires indigènes et composées de nomades sahariens recrutés sur place et tenus de pourvoir eux-mêmes à leur nourriture, à leur vêtement et à leur remonte.
Ils furent officialisés par un décret de 1902 qui créa cinq compagnies méharistes, commandées par des officiers des affaires indigènes, et dépendant de la direction de l’infanterie. Quatre de ces compagnies étaient composées de fantasins montés et de méharistes (montés sur dromadaire ou méharis), la cinquième possédait des véhicules adaptés au désert. Ces compagnies peuvent être en configuration normale ou réduite. Elles se composent alors d’un peloton de commandement et de deux ou trois pelotons de méharistes pour effectif total de 142 ou 178 hommes.
Ces compagnies devaient avoir raison des Touaregs. Toutefois leurs actions se résument à une quantité de petites actions militaires qui se sont déroulées dans de vastes territoires, mais n’ont jamais donné lieu à une opération d’ensemble. Il s’agit de reconnaissances, de mesures de police, de quelques combats dont aucun ne met en ligne plus d’une centaines d’hommes, de part et d’autre.
Les uniformes des Compagnies Sahariennes étaient issus à la fois des traditions de la légion étrangère et de celles des premières unités méhariste: Képi blanc (noir pour les officiers et sous officier), vareuse de toile blanche, épaulettes “vert et rouge”, sarouel noir ou blanc (selon l’unité), burnous en drap noir doublé de blanc (selon l’unité), ceinture bleue (portée sous le ceinturon et le baudrier), ceinturon et baudrier porte-cartouche formant un V sur la poitrine et dans le dos, nails (sandales)
Les Goums: Créés en 1908 par le général Lyautey (mais existant de fait avant), ils sont composés de soldats marocains, les goumiers, réunis en goums (compagnies de 200 goumiers), tabors (bataillons de trois ou quatre goums) et groupement de tabors (régiments de trois tabors). Ils formaient à leur début une sorte de gendarmerie irrégulière destinés à assurer des patrouilles ou des missions de reconnaissance sur le territoire marocain.

Goumiers dans les Flandres
Chaque goum comprenait la valeur d’une compagnie d’infanterie et d’un peloton de cavalerie, avec un petit train muletier. Il était commandé par un capitaine français, disposant de trois lieutenants, et de quelques sous-officiers et soldats français ou algériens musulmans. Les goumiers étaient des volontaires liés par un acte d’engagement, recevant une solde, un armement, mais s’habillant, s’équipant, se remontant à leurs frais. Chacun faisait la popote à sa guise, bénéficiant de denrées cédées par l’intendance. Les goumiers vivaient en famille, dans un douar annexé au poste où logeaient les célibataires. Leur mission consistait à assurer la sécurité du pays, à patrouiller, à éclairer les troupes régulières dans leurs déplacements, à former un élément attractif permettant le contact avec les populations, dissipant les préventions et les malentendus.
La réussite fut à peu prés compléte, et le statut de ces premières forces supplétives marocaines est donc régularisé en 1913. Les goumiers furent alors armés de fusil modèle 1886, comme les troupes régulières. Ils étaient alors vêtus de toile kaki, portaient la toile de tente en sautoir, à l’intérieur de laquelle était roulée une veste, ils étaient dotés d’un étui-musette, d’un bidon, d’un ceinturon à cartouchières, coiffés du chèche.
Ils constituaient une troupe incomparable encadrée par des hommes de valeur, les officiers des Affaires indigènes. Les goumiers restent cependant des supplétifs qui ne figurent pas dans le corps de bataille de l’armée. Ils sont à la fois pasteurs et soldats, constamment aux avant-postes, menant une vie qui les durcit, en fait d’excellents guerriers se transformant en travailleurs, poussant leur influence toujours plus loin, gardant leurs qualités de rusticité, d’endurance.
Durant la grande guerre ils continueront leur missions de pacification et n’interviendront pas dans les théatres d’opération extérieurs.
Les tirailleurs marocains: En 1912 sont créés les troupes auxillaires marocaines (TAM), constituées de bataillons réguliers de tirailleurs marocains. Lors des opérations de pacification ils sont souvent associés aux goumiers. Leur uniforme est trés proche de celui des tirailleurs algériens, mais de couleur kaki. La culotte est bouclée sur la veste et barrée d’une large ceinture rouge. Comme coiffure, la chéchia rouge dissimulée sous un couvre-chéchia kaki, le chèche roulé en turban suivant un mode différent dans chaque bataillon.
Ils prennent activement part à la première guerre mondiale, qui voit la création des régiments de tirailleurs marocains.

Les tirailleurs marocains
Les Tirailleurs Tunisiens: Le premier régiment de tirailleurs tunisiens fut créé le 14 décembre 1884 sur le modèle des trois régiments de tirailleurs algériens existant alors. Il fut formé à l’aide de douze compagnies mixtes de la Régence et prit le nom de 4e régiment de tirailleurs algériens, afin de faciliter l’emploi de cette unité purement tunisienne sur des théâtres d’opérations extérieurs à la Régence, tout en ménageant les susceptibilités possibles. Ce régiment comptait d’ailleurs, à l’origine, un certain nombre de gradés originaires de la province de Constantine.
Comme les autres régiments de tiraileurs, ils participèrent à la pacification du Maroc, avant de prendre part à la grande guerre. Ils ne furent nommés officiellement tirailleurs tunisiens qu’aprés celle-ci.
La Légion étrangère: Créée en 1831 par une ordonnance du roi Louis-Philippe et composée en majorité d’européens, ils permettaient de contourner l’interdiction d’engager des étrangers dans l’armée française. Au commencement, la Légion constitue un moyen très efficace pour retirer les éléments les plus « indésirables » de la société française du XIXème siècle. Dans ses rangs, se trouvent des meurtriers, des évadés, des mendiants, des criminels de droit commun mais surtout des immigrés non désirés, opposants au Régime. Les légionnaires ne peuvent servir qu’outre-mer, sauf si la métropole est envahie. ils sont rapidement envoyés en algérie, laquelle deviendra leur “patrie” jusqu’en 1962, avec Sidi-Bel-Abbés pour “capitale”.
À l’origine le légionnaire est très mal formé, peu ou pas payé, et reçoit le plus sommaire en matière d’équipement, de vêtements et de nourriture. La motivation des hommes est alors au plus bas, car les raisons de rejoindre la Légion sont le plus souvent le désespoir et l’instinct de survie plutôt que le patriotisme. Les conditions de vie et de travail sont terribles et les premières campagnes provoquent de lourdes pertes. En conséquence, les désertions posent un problème important à la Légion. Forger une force de combat efficace à partir d’un groupe de soldats peu motivés, représente une entreprise des plus difficiles. Dans ce but, la Légion développe d’emblée une discipline stricte, dépassant de loin celle imposée à l’armée française régulière.
Les premiers faits d’armes de la légion sont bien sûr relatifs à la conquête de l’Algérie et sa mise en valeur. En 1834 les resortissants espagnols de cette première légion est envoyée combattre en Espagne alors en guerre civile, sous l’instigation d’Adolphe Thiers ministre de l’intérieur, afin d’aider Isabelle II contre les carlistes, partisan de son frére cadet Don Carlos. Ils ne font alors plus partie de l’armée française. En 1838 Isabelle II, en proie à des difficultés financière, dissout la légion étrangère, qui retourne en France.
En 1836 après le passage de la Légion étrangère dans les rangs de l’armée espagnole, Louis-Philippe décide de la création d’une nouvelle légion afin de renforcer les troupes françaises en Algèrie. Trois bataillons sont alors créés pour combler le vide laissé par les départs en Espagne. En 1840, deux autres, les 4eme et 5eme, sont formés avec les survivants de l’aventure espagnole, légionnaire ou carlistes. Ces bataillons viennent rapidement compléter le dispositif et renforcer les troupes françaises de l’armée d’Afrique.
La nouvelle légion participera aux campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique, et aux conquêtes coloniales, notamment l’expédition du Tonkin, le Dahomey, le Soudan, La guinée, Madagascar et à la pacification du Maroc.
Légalement, la légion n’aurait pas du participer à la guerre de 1870, d’autant plus qu’on ne pouvait pas demander aux légionnaires allemands de combattre leur ancienne patrie. La situation est cependant si critique que le gouvernement fait appel aux troupes d’Afrique et notamment des légionnaires, avec l’envoi de deux bataillons d’étrangers, mais sans les légionnaires allemands restés en Algérie. Un 5ème bataillon est créé sur le sol national pour incorporer les étrangers qui veulent servir leur patrie d’adoption.
La légion participa largement à la grande guerre.
Départs de Légionnaires pour le Maroc

Fortin de Dou-Denib à la lisière du désert sud-marocain, aprés une attaque en septembre 1908
Compagnie montée de la légion s’apprêtant à quitter Sidi-bel-Abbés aux alentours de 1910: chaque mule était accompagnée de deux soldats qui se relayaient sur son dos toutes les heures. Ces patrouilles du désert pouvaient parcourir 60km par jour sous une chaleur écrasante. Les hommes partageaient leur ration d’eau avec leur mule et en dernière extrémité, mangeaient l’animal si leur survie en dépendait.
Témoignage de Blaise Cendrars:
La Légion. Il en était question depuis notre départ de Paris…quand la chose devint effective, huit mois plus tard, quand le 3° de marche de la garnison de Paris (le “3° déménageur” l’appellions nous, car il avait servi de bouche-trou dans les plus sales coins du front du nord) fût dissous pour être versé au 1er étranger, la démoralisation fût générale, surtout parmi les volontaires venus des trois amériques, tellement le renom de la Légion était sinistre outre-Atlantique, et je connais plus d’un américain qui s’était vaillammment comporté jusque là, qui avait secrétement envi de déserter…Légion ou pas Légion. Personnellement cela ma laissait absolument indifférent. Je ne me paie pas de mots. Je m’étais engagé, et comme plusieurs fois déjà dans ma vie, j’étais prêt à aller jusqu’au bout de mon acte. Mais je ne savais pas que la Légion me ferait boire ce calice jusqu’à la lie et que cette lie me saoulerait, et que prenant une joie cynique à me déconsidérer et à m’avilir je finirais par m’affranchir de tout pour conquérir ma liberté d’homme. Être. Être un homme. Et découvrir la solitude. Voilà ce que je dois à la Légion et aux vieux lascars d’Afrique, soldats, sous-offs, officiers, qui vinrent nous encadrer et se méler à nous en camarades, des desperdos, les survivants de Dieu sait quelles épopées coloniales, mais qui étaient des hommes, tous. Et cela valait la peine de risquer la mort pour les rencontrer, ces damnés, qui sentaient la chiourne et portaient des tatouages. Aucun d’eux ne nous a jamais plaqués et chacun d’eux était prêt à payer de sa personne, pour rien, par gloriole, par ivrognerie, par défi, pour rigoler, pour en mettre un sacré coup, nom de Dieu, et que ça barde, et que ça bande, chacun ayant subi des avatars, un choc en retour, un coup de bambou, ou sous l’emprise de la drogue, du cafard ou de l’amour avait été rétrogradé une ou deux fois, tous étaient revenus de tout.
Pourtant Ils étaient durs et leur discipline était de fer. C’était des hommes de métier. Et le métier d’homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie.
On en a ou on n’en a pas.
Il n’y a pas de triche car rien n’use davantage l’âme et marque de stigmates le visage (et secrétement le coeur) de l’homme et n’est plus vain que de tuer, que de recommencer.
Et vivat! c’est la vie… – Blaise Cendrars – La main coupée – Pleine-de-soupe
Sources: Photographies prises au musée de l’Empèri – Salon De Provence – Et au Musée de la cavalerie – Saumur
Les soldats des colonies – Chantal Antier-Renaud – Christian Le Corre – Ouest France – 2008
L’armée d’Afrique – Historama hors série n°10 – 1970