24 novembre 1974 | l’Afrique: Découverte de Lucy, la « grand-mère » de l’humanité

DIX JOURS QUI ONT CHANGE LA SCIENCE – En exhumant des couches ancestrales de l’Afrique de l’Est le pré-humain le plus ancien et le plus complet mis au jour, Donald Johanson donne à l’humanité la « grand-mère » de ses origines.

Ce 24 novembre 1974 en fin de matinée, le jeune Donald Johanson s’apprête à découvrir l’importance du facteur chance dans la découverte scientifique. Le géologue Maurice Taieb l’a convié à rejoindre les fouilles qu’il organise dans la vallée de l’Awash, dont le cours suit la Rift Valley au nord-est de l’Ethiopie. L’expédition Iare (International Afar Research Expedition) qu’il a montée deux ans auparavant, a trouvé là de nombreux fossiles, notamment des restes de proboscidiens vieux de trois millions d’années, et le paléontologue Yves Coppens qui a pelleté la région avec acharnement l’année d’avant en a exhumé quelques fragments d’hominidé. Les premières pièces du puzzle de Lucy…

Reconstitution de Lucy au Musée national de la nature et des sciences de Tokyo

La région est connue pour la richesse de ses archives fossiles. Depuis 1924, la découverte du premier pré-humain baptisé « Australopithecus africanus » (littéralement homme-singe d’Afrique australe) par l’anatomiste Raymond Dart, a provoqué sur le continent originel une véritable « ruée vers l’os » qui a mis au jour des individus de plus en plus anciens. La dernière trouvaille, Australopithecus aethiopicus, a été exhumée par Louis Leakey en 1959. Ses restes sont vieux de 2,5 millions d’années et le chercheur les pense en lien direct avec le genre Homo (ce que de récentes analyses ont définitivement écarté). Il suggère même que cet Australopithecus boisei est la première espèce d’hominidé à avoir employé des outils en pierre. Les Français, qui ont resserré les mailles de leur filet dans la corne de l’Afrique, espèrent bien démontrer le contraire.

Bond dans le temps

Ce matin du 24 novembre, Taieb s’occupe du ravitaillement et Coppens est parti tôt dégager le crâne fossile d’un éléphant. Quand un jeune étudiant vient demander l’aide d’un senior pour examiner le crâne d’un porc découvert à proximité, c’est donc Johanson qui s’y colle, à contrecoeur, avouera-t-il plus tard. Il a bien fait. Alors qu’il remonte dans son Land Rover, un os particulier posé à même le sol attire son attention : sans doute le morceau d’un coude appartenant à un hominidé. Les deux hommes scrutent les alentours. D’autres os scintillent : là une mâchoire, ici un bassin, là un fémur… L’hominidé qu’ils viennent de dégager affleure d’une couche datée de 3,2 millions d’années. Un bond stupéfiant dans le temps de nos origines.

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Cette reconstitution montre que Lucy était bipède

En musique, le campement fête la découverte de cet ancêtre, baptisé « AL 288-1 ». Pas vraiment glamour aux yeux de la petite amie de Johanson, qui lui préfère le petit nom de Lucy, comme celle des Beatles que l’équipe fredonne en fouillant sous le soleil aride. La moisson est inespérée : en trois semaines, 52 fragments osseux vont être exhumés, permettant la reconstitution du squelette de pré-humain le plus complet jamais découvert.

« Grand-mère de l’humanité »

Son étude, dont les détails apparaissent pour la première fois dans un papier de « Nature » que signe l’Académie française des sciences, qui a fait travailler des chercheurs comme Pascal Picq, Christine Tardieux ou Brigitte Senut, va bouleverser la connaissance des origines de notre espèce. « Nous avions assez d’os pour lui donner une allure », explique Yves Coppens. Les scientifiques disposent notamment d’articulations, la base du mouvement et la source du comportement. En analysant la cheville et le genou de Lucy, ils en déduisent qu’elle est bipède, mais qu’elle grimpe encore plus qu’elle ne marche. L’espèce intermédiaire. Elle a un nom, les spécialistes reconstituent son visage, on campe sa démarche chaloupée dans un environnement soigneusement modélisé. Pour le monde, elle devient la « grand-mère de l’humanité ».

La découverte d’autres hominidés a, depuis, repoussé cette origine et balayé la conception linéaire de l’évolution de notre espèce. Dès 1981, Yves Coppens lançait une polémique parmi les paléontologues en suggérant que Lucy appartenait à une évolution séparée de notre branche, restée attachée à la vie arboricole avant de disparaître. La découverte en 2001 de Toumaï reculant l’âge probable de la bifurcation singe-homme vers 7 millions d’années a tranché le débat et donné corps à sa théorie du bouquet, suggérant l’évolution de multiples branches et séparations influencées par les changements climatiques et les transformations locales de leur environnement. Certains hommes ont pu développer un physique imposant pour impressionner les prédateurs dans un paysage où ils ne pouvaient plus se cacher, d’autres ont pu trouver leur salut dans une nouvelle dentition leur permettant de broyer l’herbe plus facilement. D’autres encore ont misé sur le développement cérébral pour mettre en place des stratégies de survie. Avec sa boîte crânienne de seulement 450 centimètres cubes, Lucy ne faisait pas partie de ce lot.

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Par: Paul Molga

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