Migrants : le nouveau filon des organisations mafieuses en Italie

+VIDEO Une délinquance en col blanc détourne les fonds d’aide aux migrants. Une autre, en col bleu, fournit des journaliers sous-payés aux exploitants agricoles du Sud.

“T’as pas idée de combien on gagne sur le dos des immigrés, le trafic de drogue c’est moins rentable !”. Parole d’expert, puisque cette phrase qui a fait le tour de l’Italie, émane de Salvatore Buzzi. Il était le bras droit du chef mafieu Massimo Carminati. Tous deux ont comparu fin 2014 devant les juges en charge de l’affaire “Mafia Capitale”.

Merci aussi à la police qui avait mis Buzzi sur écoute et a pu ainsi diffuser son cri du coeur lors de l’audience.

Ce procès retentissant a mis au grand jour l’existence d’une quarantaine de “coopératives sociales” aux mains d’organisations mafieuses qui s’enrichissaient en détournant (entre autres) à leur profit l’essentiel des budgets publics prévus pour l’accueil des migrants à Rome et dans ses environs – une activité évaluée 3 milliards d’euros par an sur le plan national. Ceci, grâce au noyautage des structures en charge de ces missions, avec la complicité de politiciens corrompus (voir le reportage vidéo ci-dessous).

360 millions d’euros de biens saisis

Au coeur du procès Mafia capitale on retrouve ainsi Luca Odevaine. Ancien directeur de cabinet de Walter Veltroni (deux fois maire de Rome entre 2001 et 2008) et chef de la Police de la province de Rome, “Odevaine est un monsieur qui a traversé, dans le sens vertical et horizontal, toutes les administrations publiques les plus importantes liées au secteur de l’aide d’urgence aux migrants”, a sobrement résumé le procureur général.

Le successeur de Veltroni, Gianni Alemanno (maire de 2008 à 2013) a été lui aussi accusé de corruption et financement illicite. Le parquet le soupçonne d’avoir “vendu” ses fonctions et d’avoir effectué “des actes contraires au devoir de sa charge”.

Les biens et valeurs du tandem Carminati-Buzzi issus des versements de la Mairie et saisis auprès d’eux-mêmes, de leurs complices et autres prête-noms, se montaient à 360 millions d’euros, selon un pointage effectué par l’unité de la Guardia di Finanza (police financière) au printemps 2016.

Travail forcé, abus de pouvoir et tentatives de fraude

Mais en Italie, les différentes organisations mafieuses ne se contentent pas de la délinquance en col blanc. Une version “rurale” se décline aussi. Un exemple. Dans la province de Cosenza (en Calabre, sud du pays) quatorze personnes ont été arrêtées en mai dernier sous le chef d’inculpation de “travail forcé, abus de pouvoir et tentative de fraude aggravée contre l’État” pour avoir exploité une trentaine de migrants sub-Sahariens. Sous la contrainte, ils récoltaient de fruits et légumes pour moins de 2 euros de l’heure. Outre les gains empochés en procurant aux propriétaires agricoles une main-d’oeuvre sous-payée, les accusés doublaient la mise en falsifiant des documents officiels afin d’empocher les 35 euros (hors logement) par jour que l’État italien accorde à tout migrant accepté officiellement sur son sol. Sur le banc des accusés, on trouvait le directeur et deux responsables du centre d’accueil qui hébergeait ces migrants.

C’est un ressortissant d’orine nigériane qui a porté plainte. L’enquête a permis de confirmer l’existence en Calabre, région pauvre du Sud fortement investie par la N’drangheta (la mafia locale, Ndlr), d’un système d’exploitation criminel qui touche en majorité des émigrés, clandestins cette fois . Dans ces régions du Mezzogiorno (Campanie, Calabre, Basilicate, Pouilles, Sicile…), l’agriculture intensive reste une activité économique majeure : maraîchage, arboriculture, tabaculture… Toutes requièrent beaucoup de main-d’oeuvre mais à des moments et pour des durées difficiles à anticiper.

Cette région est aussi (voir la carte ci-dessous) l’une des principales porte d’entrée des migrants pour l’Europe. Et depuis 2013, les flux migratoires vers le sud de l’Italie n’ont pas cessé de croître, et avec eux le trafic d’être humains qui, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a atteint des proportions alarmantes (lire l’encadré).

Dans ce contexte, “le travailleur migrant constitue une aubaine pour les exploitants agricoles”, notait Romain Filhol dans un article de 2013 publié dans la revue “Hommes & migrations”.

EUROPE : ALERTE SUR LE TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS

L’heure est grave. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) les trafics d’être humains représentent pour le crime organisé le troisième secteur le plus lucratif, après les armes et les drogues, avec un “chiffre d’affaires” estimé à 35 milliards de dollars par an, dont 3 milliards pour l’Europe. Vendredi, lors du sommet du G20 à Hambourg, le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est emparé du sujet. “Je demanderai une lutte sans pitié contre les passeurs “, a-t-il lancé, en évoquant cette forme de criminalité qui aurait rapporté 1,6 milliard de dollars, pas de chiffre d’affaires, mais “de profits” cette fois.

Les méthodes esclavagistes des “caporali”

C’est durant ces périodes sous tensions (semailles, récoltes) que le “business des migrants” s’organise. Pour se fournir en journaliers corvéables à merci, appelés “braccianti” en Calabre, la N’drangheta fait appel à des “caporali”. Ces recruteurs ratissent les zones rurales pauvres, les centres d’accueil et les squats à la recherche de main-d’oeuvre bon marché à fournir aux propriétaires des exploitations agricoles – le même schéma vaut, moins périodique et moins localisé, pour les patrons du BTP. La sélection s’opère sur des critères qui rappellent l’esclavage : endurance, docilité, robustesse. Les récalcitrants sont maltraités : passages à tabac, privation de nourriture, etc. Inutile de préciser que les conditions de logement sont insalubres et les conditions sanitaires, inexistantes.

“Les grandes masses d’argent destinées à l’accueil des migrants suscitent l’intérêt des organisations mafieuses, et en disant cela je me fonde sur les conclusions de plusieurs enquêtes”, a affirmé Carmelo Zuccaro le procureur de Catane (Sicile), auditionné en mai par une commission Antimafia . Toutefois, rien ne prouve, selon lui, que ces mêmes organisations contrôlent le trafic des migrants. Lire la suite
Source Les Echos

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