L’Afrique francophone ne décolle pas parce nous ne produisons pas ce que nous consommons!

Dans mon pays le Cameroun, voici ce qu’on mange au déjeuner: le menu ´Beignets-Haricots ‘, accessoirement accompagné de bouillie artisanale, à base de mais ou de manioc. En d’autre mots, au Cameroun, comme en de nombreux lieux en Afrique, on n’a pour ainsi dire, rien à foutre du déjeuné au café-chocolat version Europe.

Évidemment, avec le temps, le pain est devenu un élément incontournable de l’alimentation de nos populations, qui sert dorénavant de complément à un vaste panel de menus (œufs bouillis, boulettes de viande, sauce, et également haricots)

Et justement, voilà le noeud du problème: au lieu d’être l’un des premiers producteurs de céréales (blé, riz etc) à base desquels est faite la farine qui constitue ces beignets et ce pain, l’Afrique s’est engouffrée dans un profond mystère économique, où elle préfère produire des choses que quasiment personne ne mange sur place: (Ex: le cacao, le café). Et lorsque c’est le cas, la matière-première est au préalable exportée pour être transformée à l’extérieur avant de revenir en produit fini, beaucoup plus chère que son prix de vente initial (Ex: le coton )

LA TRAGÉDIE DE LA FARINE DE BLÉ

Le blé est la deuxième céréale la plus consommée au monde après le riz. Pour l’année 2016, on enregistre une production totale de 733 millions de tonnes. En d’autres mots, 23 tonnes de blé sont récoltés chaque seconde (Soit 23 269 kilos, selon la plateforme <Planetoscope. com>). Et pourtant, malgré une demande colossale, l’Afrique a trouvé le moyen de ne pas faire partie des grands producteurs mondiaux de la précieuse denrée. Nous préférons acheter le blé cultivé depuis l’extérieur pour faire notre farine.
Ce n’est donc pas un hasard si le journal <L’Opinion>, quotidien Français fondé en 2013, titrait dans un article du 10 avril 2015:
“L’engouement de l’Afrique pour le pain fait le bonheur des céréaliers français”. En effet, alors que la demande locale ne faiblit pas, nos pays s’obstinent à ne pas produire et à jouer plutôt les bons clients. C’est ainsi qu’entre 2012 et 2013, la seule France a écoulé au Cameroun 250 000 tonnes de blé. A noter qu’entre 2011 et 2012, on avait même enregistré un pic d’importation de 300 000 tonnes. Une véritable mine d’or à ciel ouvert.

Le constat tout aussi intéressant pour nos frères préférés de Côte d’Ivoire qui, sur la même période, enregistrent un chiffre moyen de 400 000 tonnes de blé importées. Le pays d’Houphouet Boigny est un exemple d’autant plus excellent qu’il produit dans le même temps, près de 2 millions de tonnes de cacao (1,8 millions) par an. Le constat est là, et il est sans appel: nous produisons ce que nous ne consommons pas, et nous consommons ce que nous ne produisons pas. Une réalité d’autant plus tragique quand on pense à la qualité exceptionnelle de nos sols.

CE QUE FONT LES AUTRES

La Côte d’Ivoire se targue ainsi d’être le premier producteur mondial de “l’or brun”(cacao) dont elle n’a pas vraiment besoin, alors que pour se nourrir, elle importe sa nourriture. A l’instar de ses voisins (Bénin, Togo, et même Nigeria), c’est tout simplement une hérésie. Or lorsque nous observons la scène mondiale, un tout autre constat nous intrigue. Voyons plutôt:
La Russie est le premier exportateur mondial de blé. Pourtant, le premier producteur mondial est la Chine. Cela paraît illogique à première vue. La question qu’on se pose est: “Comment la Chine qui produit plus que la Russie, peut-elle vendre moins à l’extérieur?”.
La réponse est toute simple: la Chine CONSOMME d’abord son blé pour elle-même, avant de le vendre à quelqu’un d’autre. Elle n’en vend que le surplus., c’est-à-dire ce dont elle n’a plus besoin vu qu’elle a le ventre plein. C’est la même stratégie qu’elle adopte envers la banane, dont elle détient la Pole Position. Au Cameroun, premier producteur africain de banane, le gros de la production va à l’exportation et non à la consommation interne. Vous LA trouverez souvent dans les rayons des grandes surfaces en France (Carrefour, Leclerc…) ou en Allemagne (Penny, REWE…). Une autre hérésie.

Les cinq principaux producteurs de blé sont la Chine, l’Inde, la Russie, les USA, et la France. Ces pays ont en commun le fait qu’ils s’assurent de nourrir d’abord leurs citoyens avant de vendre. Ainsi, la France qui récolte 30 à 40 000 tonnes de blé par an, n’exporte que la moitié (15 à 20 000 tonnes). Ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer des bénéfices colossaux. En 2014, elle affichait une plus-value nette de 3,9 millions €, soit plus que les bénéfices du groupe nucléaire AREVA dans le pillage de l’uranium au Niger (3,5 millions € en 2012). L’office agricole Français <FranceAgriMer> créé en 2009 précise alors à raison en parlant du blé de l’Hexagone: “C’est le troisième poste excédentaire de notre commerce extérieur après l’aéronautique et les boissons”.

Que fait l’Afrique dans tout ça ? Elle préfère que le FMI et la Banque Mondiale, en bons parents, viennent lui dire ce qu’elle doit cultiver, même si ce n’est pas ce qu’elle mange.

LE MENSONGE DE LA TRANSFORMATION LOCALE

Une nouvelle tendance neocoloniale consiste à faire croire aux Africains qu’ils ont maintenant des usines de finalisation locale. C’est ainsi que depuis 2015, la Côte d’Ivoire s’est vu doter d’ateliers flambant neufs, pour la “transformation” de son chocolat. Comme le précisait le ministre des mines et de l’industrie Jean-Claude Brou, le pays ne transforme actuellement que 350 000 tonnes sur ses 2 millions de tonnes de production, soit 33% de son cacao. Étant donné qu’il représente 15 % du Produit Intérieur Brut (PIB) ivoirien, fabriquer le chocolat sur place permettrait d’augmenter la croissance économique du pays. Le Président Alassane D. Ouattara ayant laissé entendre que l’objectif est de passer à 50% de transformation locale en 2020.
Une bonne initiative alors?

Quand on n’est pas naïf, on observe deux paradoxes principaux:

1- la consommation à outrance de chocolat n’est pas tout à fait ancrée dans les habitudes alimentaires des Africains, dans les mêmes proportions qu’en Occident. Ce n’est donc pas pour rien que les usines de chocolat de situent près des grands ports (San Pedro, Abidjan), comme le reconnaît une tribune dans la rubrique <Afrique> du journal -LeMonde> publiée le 7 octobre 2016. En d’autres mots, ce fameux chocolat “ivoirien” est prioritairement destiné à l’exportation vers l’Occident. Les opérateurs de ces entreprises qui connaissent très bien cette réalité ne sont pas venus habituer les ivoiriens au chocolat. Ils sont surtout venus produire à bas prix, afin d’augmenter les gains, en raison d’un prix de vente en Europe bien supérieur au coût de production, et du faible salaire à payer aux employés locaux en Afrique. C’est aussi simple que ça.

2- L’identité de ces opérateurs confirme cette analyse, vu que la nouvelle usine flamboyante de Côte d’Ivoire n’est pas l’œuvre des Ivoiriens. C’est le groupe Cemoi, numéro un français de la chocolaterie basé à Grenoble, qui tient les rênes de cette nouvelle entreprise pseudo-ivoirienne. On est alors face à un double problème: les Africains en plus d’aller au champ pour nourrir les autres, ne sont même pas les propres chefs des entreprises basées Chez eux. Avec l’incapacité , le manque de volonté, voire la médiocrité de nos dirigeants, il ne leur vient même pas à l’esprit de créer des centres de recherche sophistiqués afin de développer la technologie permettant de transformer nos produits chez nous et d’être nos propres patrons.

QUELLES SONT LES LEÇONS A TIRER?

Pour continuer à s’enrichir, les grandes puissances encouragent l’Afrique à demeurer un réservoir éternel de matières premières sans technologie, avec leurs chers complices que nous appelons Présidents. En Afrique dite francophone, c’est ici qu’intervient la sorcellerie du FrancCFA. Ce papier est effectivement une monnaie très forte, et on nous a dit que c’est une bonne chose. C’est une bonne chose d’importer ce que d’autres ont fabriqué. Ça donne à l’Africain naïf l’impression d’être riche, puisqu’en comparaison des autres pays notamment “anglophones”, il achète moins cher. Mais il ne voit pas qu’une monnaie forte détruit le sens de l’initiative et encourage l’improductivité pour des pays encore sous-industrialisés. Si vous avez une monnaie forte, vous aurez du mal à vendre ce que vous fabriquez. Les dirigeants d’Afrique choisissent donc de ne rien fabriquer et de dépendre des ventes de matières premières.

Or, quand vous n’êtes pas autosuffisant, vous n’êtes pas indépendant. L’importation de la nourriture était l’ennemi juré de Thomas Sankara, qui refusait systématiquement toute aide internationale. En moins de 4 ans, le Burkina amorçait une voie royale vers la prospérité. Que serait-il advenu du Faso sans cette tragédie du 15 octobre 1987? Tout le monde connaît la réponse.

En attendant , je vais déguster ce BH qu’on m’a gentiment préparé. Je vous laisse choisir entre “Boko Haram” et “Beignets Haricots”.


Ekanga Ekanga Claude Wilfried
(Produce Black and Buy Black)

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