Cela impliquait de traverser les montagnes de l’Épire en plein hiver. Qui, dans le monde, pourrait penser que c’était une bonne idée ? Sans surprise, le résultat a été une catastrophe militaire, les troupes italiennes souffrant de lourdes pertes, tout en étant coincées dans la boue et la neige des montagnes de l’Épire pendant l’hiver 1940-41, jusqu’à ce que les Allemands viennent à la rescousse – en force – au printemps suivant. Dans un certain sens, la campagne a été couronnée de succès pour l’Axe, car finalement la Grèce dut se rendre. Mais ce fut aussi un énorme gaspillage de ressources militaires, qui auraient pu être utilisées par l’Italie pour l’effort de guerre contre les Britanniques en Afrique du Nord. L’erreur en Grèce peut avoir été un facteur majeur dans la défaite italienne de la Seconde Guerre mondiale.
Le point intéressant de cette campagne est que nous avons les procès-verbaux des réunions du gouvernement qui ont mené à la décision malheureuse d’attaquer la Grèce. Ces documents ne semblent pas disponibles en ligne, mais ils sont rapportés par Mario Cervi, dans son livre de 1969 Storia della Guerra di Grecia (traduit en anglais sous le titre de The Hollow Legions). Il ressort clairement des minutes qu’il s’agissait de Mussolini, et de Mussolini seul, qui a poussé à lancer l’attaque au début de l’hiver. Au cours d’une réunion tenue le 15 octobre 1940, le Duce aurait déclaré que la date de l’attaque contre la Grèce avait été fixée par lui et que « cela ne pouvait pas être reporté, même pas d’une heure ». Aucune raison n’a été donnée pour avoir choisi cette date spécifique et aucun des généraux et officiers de haut niveau présents à la réunion n’a osé s’opposer et dire qu’il aurait été préférable d’attendre la venue du printemps. L’impression est que l’Italie était dirigée par un idiot bourdonnant et les résultats ont renforcé cette impression.
Qu’est-ce qui a conduit Mussolini à se comporter de cette façon ? Il est possible que son cerveau n’ait pas bien fonctionné. Nous savons que Mussolini a souffert de la syphilis, une maladie qui peut entraîner des lésions cérébrales. Mais une biopsie a été réalisée sur un fragment de son cerveau après sa mort, en 1945, et les résultats étaient raisonnablement clairs : aucune trace de lésion cérébrale. C’était le cerveau fonctionnel d’un homme de 62 ans, l’âge de Mussolini au moment de sa mort.
Mussolini est l’un des rares cas de dirigeants politiques de haut niveau, pour lesquels nous avons des preuves tangibles de la présence ou de l’absence de lésions cérébrales. Le dictateur de malheur par excellence, Adolf Hitler, aurait souffert de la maladie de Parkinson ou d’autres problèmes neurologiques, mais cela ne peut être prouvé puisque son corps a été brûlé après son suicide, en 1945. Après la capitulation de l’Allemagne, plusieurs dirigeants nazis ont été examinés à la recherche de problèmes neurologiques et, pour l’un d’entre eux, Robert Ley, un examen post-mortem a révélé un certain degré de dégâts physiques sur les lobes frontaux. Il est cependant discutable que ce soit la cause de son comportement cruel.
C’est plus ou moins ce que nous avons. Cela ne prouve pas que les leaders diaboliques ne souffrent jamais de lésions cérébrales, mais le cas de Mussolini nous dit que les dictateurs ne sont pas forcément insensés ou méchants, de la façon dont les bandes dessinées ou les personnages de films sont décrits. Au contraire, ils sont mieux dépeints comme des personnes qui souffrent d’un « trouble de la personnalité narcissique » (TPN). Ce syndrome décrit leur comportement vindicatif, paranoïaque et cruel, mais aussi leur capacité à trouver des adeptes et à devenir populaires. Donc, il se peut que le syndrome de TPN ne soit pas vraiment un « désordre », mais plutôt quelque chose de fonctionnel pour devenir un leader.
Il y a un problème : même [et surtout , NdT] dans une démocratie, la première priorité d’un politicien est d’être élu et c’est une compétence très différente de celle nécessaire pour diriger un pays. Un dirigeant affecté de TPN peut ne pas être nécessairement mauvais, mais il (très rarement elle) sera presque certainement incompétent. Cela se passe non seulement en politique, mais aussi en affaires. Je pourrais également citer les noms de certains scientifiques qui semblent être affectés par le TPN. Ils sont souvent incompétents, mais ils peuvent atteindre un certain succès, grâce à leurs aptitudes sociales qui leur permettent d’accumuler des bourses de recherche et d’attirer des collaborateurs intelligents. (Heureusement, ils ne peuvent pas emprisonner et torturer leurs adversaires !)
Le problème avec cette situation est que, partout dans le monde, les personnes touchées par le TPN visent à obtenir des postes gouvernementaux de haut niveau et souvent ils réussissent. Ensuite, gouverner un pays entier leur donne beaucoup de chances d’être non seulement des incompétents, mais le genre de personnes que nous qualifions de « criminellement incompétents ». Le genre de catastrophe susceptible d’en résulter peut être illustré, encore une fois, par le cas de Mussolini. Au cours de la campagne grecque, le Duce a ordonné à l’armée de l’air italienne de « détruire toutes les villes grecques de plus de 10 000 habitants », rapporte Cervi, ainsi que Davide Conti dans son livre L’occupazione italiana dei Balcani (2008). Heureusement, l’armée de l’air italienne de l’époque n’a pas été en mesure d’exécuter cet ordre. Mais qu’arriverait-il, si un ordre similaire était donné aujourd’hui par un dirigeant qui peut contrôler les armes atomiques ?
Ugo Bardi
Note du Saker Francophone
On peut aller plus loin et dire que le système électif lui-même est une des sources du problème. Il radicalise mécaniquement la population en deux camps, de plus en plus irréconciliables si la situation économique se détériore. Il faudrait introduire des mécanismes de consensus... qui existent, en plus.