Venezuela : le 23 février de tous les dangers

La crise vénézuélienne est entrée dans une nouvelle phase depuis que tous les pays et les organisations internationales impliqués dans son développement se soient, les uns après les autres, positionnés en faveur de Nicolas Maduro ou de Juan Guaido.

Les fronts politiques et géopolitiques sont momentanément figés, jusqu’aux prochaines évolutions du conflit interne, qui seront directement liées aux événements qui se dérouleront la journée du 23 février ( appel de Juan Guaido à mobilisations et à l’organisation de “caravanes” pour faire entrer, coûte que coûte, “l’aide humanitaire” au Venezuela).

Le Groupe de Lima ( coalition des 14 pays américains soutenant Juan Guaido), les Etats-Unis et Juan Guaido rejettent les tentatives de médiations proposées par le Mexique et l’Uruguay dans le cadre du « Mécanisme de Montevideo » ( salué par Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies) . Ce Mécanisme, présenté le 7 février, propose l’organisation d’un dialogue sans conditions préalables entre le gouvernement et l’opposition vénézuélienne afin d’élaborer une feuille de route commune devant offrir au pays une sortie de crise pacifique et politique.

Washington et ses alliés, tout comme M. Guaido, rejettent également les propositions du Groupe de contact international promu par l’Union européenne, sans le soutien de la Bolivie mais avec celui de l’Uruguay. Ce dernier, réuni également le 7 février à Montevideo pour la première fois, condamne “l’illégitimité” de Nicolas Maduro et reconnaît l’Assemblée nationale vénézuélienne comme seule autorité légitime. Toutefois, certains pays – comme l’Italie – ne reconnaissent pas pour autant Juan Guaido comme “président légitime”. Tous veulent en revanche le départ de Nicolas Maduro mais diffèrent des Etats-Unis quant à l’option d’une intervention militaire. Sur ce point, nombre de pays du groupe de Lima sont également inquiets. S’ils veulent la fin de Nicolas Maduro, ils craignent les effets d’une intervention ou d’une guerre civile qui produiraient un exode migratoire massif qu’ils devraient gérer dans des conditions catastrophiques. Ils ne veulent pas d’un scénario “à la syrienne” dans la région.

Le Groupe de contact ne s’engage pas en faveur d’un dialogue entre deux parties traitées à égalité mais pour l’organisation d’élections “libres, transparentes et crédibles” comme seul moyen d’exclure ” l’usage de la force “.

Parallèlement, le Venezuela vit depuis le 28 janvier sous un régime de sanctions financières et commerciales renforcées appliqué par les Etats-Unis. Plusieurs pays européens ont également, dans leur sillage, pris des mesures de rétorsion financière contre Caracas.

Selon le quotidien d’opposition vénézuélien El Nacional, plus de 30 milliards de dollars seraient potentiellement bloqués ou ciblés par l’ensemble de ces sanctions : actifs, comptes bancaires, réserves d’or à l’étranger, etc. (http://www.el-nacional.com/…/que-sabe-sobre-los-activos-ven…).

Pour sa part, Nicolas Maduro affirme que le gouvernement américain aurait d’ores et déjà “séquestré dix milliards de dollars sur des comptes bancaires” appartenant au Venezuela et les pays européens (dont Royaume-Uni et Portugal) plusieurs autres milliards destinés à l’achat de médicaments notamment.
Du point de vue de Washington, ces puissantes sanctions doivent altérer à court-moyen terme (un ou deux mois) le soutien des militaires au président constitutionnel vénézuélien.

Sur le plan intérieur, chacun mobilise quotidiennement ses forces dans des mobilisations importantes organisées dans tout l’intérieur du pays.

En vue de quoi ? D’un nouveau chapitre du conflit qui se précise.

Le 23 février, Juan Guaido appelle donc à de nouvelles mobilisations massives partout et annonce l’entrée, quoi qu’il arrive, de “l’aide humanitaire” qu’il a sollicitée auprès de ses alliés internationaux.

Un pont aérien est désormais en place entre la Floride et Cucuta en Colombie. La ville colombienne frontalière avec l’Etat de Tachira côté vénézuélien ( acquis à l’opposition) est la tête de pont de l’opération organisée par les Etats-Unis et leurs alliés. En cas de déflagration politique du Venezuela, l’Etat de Tachira pourrait constituer une base territoriale pour Juan Guaido et ses alliés à partir de laquelle contester Caracas.

Pour le moment, trois avions C 17 des forces aériennes américaines font désormais la navette avec la Colombie depuis la base de Homestead à Miami. L’opération, coordonnée par USAID avec le soutien du gouvernement colombien et des représentants de Juan Guaido, doit préparer la journée du 23 février. Washington a promis 20 millions de dollars d’aide, le Canada 53 millions ( à comparer aux montants des fonds bloqués). Le sénateur républicain de Floride Marco Rubio (droite du parti), inspirateur et artisan quotidien de la politique de Donald Trump dans la région, est venu sur le sol colombien superviser directement les préparatifs.

Deux autres nouveaux points de départ pour cette opération sont par ailleurs désormais connus : un dans l’Etat de Roraima au Brésil (frontalier du Guyana et du sud-est du Venezuela) et un sur l’île de Curaçao ( territoire hollandais) qui fait immédiatement face à la côte Nord-ouest du Venezuela.

Des mouvements militaires américains dans la Caraïbe ont été dénoncés par Cuba. L’armée brésilienne a accepté d’intégrer le commandement du Southcom , la force militaire des Etats-Unis pour l’Amérique latine et la Caraïbe.

Dans ce contexte, les forces militaires vénézuéliennes manœuvrent et se positionnent. Elles s’expriment aussi. Dans un communiqué officiel du 19 février (lendemain du discours de Donald Trump en Floride sur le Venezuela), la Force armée nationale bolivarienne (FANB) a prévenu ceux qui, selon elle, assimilent ses membres à des “mercenaires”. Elle dénonce “une attitude dangereuse” de Donald Trump, ses “menaces de forme grossière et insolente” et la “tentative de coup d’Etat contre le gouvernement vénézuélien légitimement constitué”. La FANB déplore également “une escalade qui recoure à la méthode de la guerre hybride ( afin de) générer l’ingouvernabilité, le chaos et l’anarchie”. Elle prévient enfin. Elle “restera en alerte le long des frontières, comme l’a ordonné (son) commandant en chef, pour éviter quelconque violation de l’intégrité territoriale” du Venezuela.

Les scénarios d’incidents ou de confrontations sont désormais évalués et envisagés.

La journée du 23 février sera clé pour observer le déroulement ultérieur de la crise vénézuélienne. Elle pourrait marquer une nouvelle étape et un changement de nature du conflit si l’ingérence étrangère – dénoncée comme telle par le gouvernement de Caracas – se confirmait directement sur le territoire du pays et que des affrontements partisans et/ou militaires advenaient.

Cette journée pourrait projeter le Venezuela dans une nouvelle situation et constituera un test quant aux capacités de résistance politique et sécuritaire de Nicolas Maduro.

Depuis l’université internationale de Floride, Donald Trump a pour sa part en effet précisé le 18 février son projet pour le Venezuela, mais également pour la région : “Nous sommes ici pour proclamer qu’un nouveau jour arrive en Amérique latine. Au Venezuela et dans tout l’Hémisphère occidental ( les Amériques dans leur totalité dans le langage américain), le socialisme est en train de mourir et la liberté, la prospérité et la démocratie sont en train de renaître”.

Durant son discours dans lequel il a demandé aux militaires vénézuéliens de choisir maintenant leur camp, le président américain a fulminé à de multiples reprises contre le “socialisme” – le véritable adversaire derrière le Venezuela – et menacé les pays de la dite “troïka de la tyrannie” ( Cuba, Nicaragua, Venezuela). Et d’insister : “Il n’y aura pas de retour en arrière”.

Comme toujours, il faut prendre au sérieux les mots de Donald Trump. Parallèlement au dossier vénézuélien, le président et son administration prennent des mesures contre les gouvernements de Managua et de La Havane ( ce dernier pourrait faire l’objet de nouvelles sanctions lourdes et extra-territoriales dans les prochaines semaines tandis que le pays s’apprête à adopter sa nouvelle Constitution).

Ce n’est plus seulement le Venezuela qui est aujourd’hui dans la ligne de mire de Washington, mais Cuba en particulier.
A une année et demi de la nouvelle élection présidentielle aux Etats-Unis (2020), et avec le soutien acquis de la puissante Floride de Marco Rubio, Donald Trump imagine-t-il pouvoir se représenter à la tête d’un bilan singulier : être celui, le seul, qui aura obtenu la chute de Cuba l’illustre ennemi et des autres pays “socialistes” du continent, amis de la Chine … de cette Russie qui reste un caillou dans sa chaussure… tandis qu’il doit aussi faire face à ses autres déconvenues dans le dossier du mur avec le Mexique, l’autre sujet latino-américain de sa présidence ?

Christophe Ventura

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