Pourquoi beaucoup d’Africains soutiennent Kadhafi – Par Etienne L. Damome

À suivre les médias occidentaux et plus spécifiquement français, on retiendra que la guerre que l’Occident livrait à Kadhafi avait deux objectifs universels : les droits de l’homme – il s’agissait d’empêcher le guide libyen de « massacrer son propre peuple » – et la démocratie – aider le peuple libyen à choisir librement et démocratiquement ses dirigeants. Personne de raisonnable n’allait s’inscrire en faux contre de pareils buts. Ce bon sens s’était d’ailleurs à tel point imposé que les chefs d’États occidentaux engagèrent la guerre avant de se tourner vers leurs peuples : « vous voyez vous-mêmes que ça ne pouvait pas attendre ». Les sondages organisés quelques jours après montraient d’ailleurs que cette guerre était plébiscitée par les Français . Les Africains, eux, étaient beaucoup moins unanimes, comme si une bonne partie d’entre eux vivaient sur une autre planète et ne partageaient pas les valeurs mises en avant par les Occidentaux. Comme en attestait un article du Monde en date du 30 mars 2011 : « L’intervention occidentale divise les dirigeants et les intellectuels africains ». Beaucoup d’Africains du continent et de la diaspora soutenaient en effet fermement le combat du peuple libyen pour son émancipation de la dictature de Kadhafi et bien évidemment l’action des puissances occidentales en vue de le déloger. Ils pourfendaient « le “boucher de Tripoli” et ses griots chefs d’État » ; ils souhaitaient que ce qui lui arrivait serve de moyen de dissuasion en direction des autres dictateurs africains  Ceux-là étaient à l’inverse vilipendés en tant que vendus, valets des occidentaux et « forces au service de l’impérialisme marchand » par ceux qui soutenaient Kadhafi. Ils étaient tout aussi nombreux, sinon plus, et dans tous les cas bien plus bruyants que les premiers, au point de donner à penser que toute l’Afrique était rangée derrière Kadhafi. En témoignait ce titre du journal malien Le Combat du 16 avril 2011 : « La question libyenne montre le vrai visage du monde : la fracture est très profonde » qui traduit un sentiment de bipolarisation géopolitique du monde : l’Occident d’un côté, l’Afrique de l’autre.

CES AFRICAINS QUI SE BATTENT POUR KADHAFI

15 mars 2011, le site du New York Times présentait un profil malien des recruteurs de mercenaires pro-Kadhafi, de jeunes hommes qui s’enrôlent dans des milices pour combattre sous la bannière du Guide en Libye. L’article en question révélait qu’un groupe de 200 jeunes de Bamako s’était formé depuis un certain temps pour le départ en Libye et multipliait des actes militants de prosélytisme en distribuant par exemple des tracts pro-Kadhafi dans toute la ville. Elhadj Maiga, fondateur et leader du groupe, déclarant avec ferveur : « Nous sommes tous prêts à mourir pour lui. Il a tant fait pour nous (…). Que Kadhafi le demande ou pas, ils veulent tous le rejoindre. Il est tout pour eux : leur chef, leur leader. Sans lui, ils perdent leur protecteur ». Les Touaregs (principalement originaires du Mali, d’Algérie et du Niger) sont également de la partie, nombre d’entre eux s’étant rangés du côté du Guide : « Entre 200 et 300 Touaregs ont quitté le nord du Mali pour rejoindre Kadhafi ces dernières semaines » . Depuis que la crise libyenne a éclaté, des informations de ce genre ont été enregistrées par dizaines dans beaucoup de pays africains. Des mercenaires kenyans luttent aux côtés du colonel Mouammar Kadhafi au nom de ses liens avec des personnes clés au sein de l’administration Kibaki.

De même au Sénégal : « Solidarité avec la Libye : Un collectif dénonce les bombardements » ; réunion de 21 associations islamiques, guides religieux, ONG, secteurs de la société civile ; plus de trente orateurs dont l’ambassadeur Omar Ben Khatab Sokhna, se succèdent pour dénoncer et fustiger l’attitude inacceptable des puissances occidentales avant d’adopter un plan d’action avec marches, sit-in, prêches dans les mosquées pour expliquer aux musulmans le sens de la lutte de Kadhafi depuis près de quarante années  En Guinée-Bissau, ce sont quelque 2 000 personnes qui défilaient dans les rues de Bissau le 18 mars 2011 pour apporter leur soutien au Guide, l’AFP signalant également un rassemblement de centaines de militants de Jeunesse unie pour les États-Unis d’Afrique (JUPEUA) au cours de la même semaine à Cotonou en solidarité avec le régime libyen. Ou encore d’anciens étudiants malgaches de Libye et des diplômés malgaches des universités libyennes qui manifestaient pour dénoncer « l’agression perpétrée par les États-Unis et la France contre la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne » et projetaient des manifestations devant les ambassades de ces deux pays à Antananarivo ; il n’y a donc pas que l’Afrique continentale qui soit concernée par la vague de soutien à Kadhafi. Que dire alors des rois, sultans, cheikhs, princes et chefs traditionnels d’Afrique qui déclaraient à la mi-mars 2011 à Abidjan par la voix de Tchiffi Zié Jean Gervais, secrétaire général du Forum qui les réunit depuis septembre 2008, leur soutien sans faille à Mouammar Kadhafi : « Nous sommes solidaires de nos frères Libyens. Et nous allons soutenir Malick Moulouck [Kadhafi] jusqu’à la dernière bataille. Les Occidentaux ne pourront pas nous distraire en désorientant nos politiques. La Libye n’est pas la Tunisie, n’est pas l’Égypte. L’heure a sonné pour dire non à Sarkozy, à la Ligue arabe manipulée. Et Malick Moulouck va mater les rebelles jusque dans leur dernier retranchement à Benghazi »

Même une partie des Africains de la diaspora n’est pas en reste. Par exemple la coordination du parti Sadi (Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance) de France a organisé en collaboration avec le Mouvement d’amitié et de coopération entre les peuples européens et libyens, la Fédération des Travailleurs d’Afrique en France (FETAF), l’Alternative 2001 Association entre la Plume et l’enclume, l’Organisation des communautés africaines et arabo-africaines en Europe (OCAAE) et l’Organisation Mondiale de la Diaspora le 9 avril 2011 à Paris une marche de protestation contre l’intervention occidentale en Libye et de soutien au peuple libyen et au colonel Mouammar Kadhafi  À côté de sites Internet de la diaspora africaine qui adoptent une position proche de celle des Occidentaux pour des raisons analogues aux leurs, plusieurs autres ne cessent de poster des articles incendiaires contre ce qu’ils analysent en tant que guerre de l’Occident contre l’Afrique.

Nombre de pays parmi lesquels ces poids lourds du continent que sont l’Afrique du Sud, le Nigeria, mais aussi le Gabon qui font actuellement partie du Conseil de sécurité de l’ONU ont certes approuvé la résolution 1973 justifiant l’intervention militaire. Même si cette approbation s’est effectuée, c’est « sous la pression des Occidentaux, et pour Pretoria, dans l’espoir de décrocher un siège de membre permanent au Conseil » . Et plusieurs dirigeants n’expriment qu’une « solidarité forcée, en s’abstenant de toute condamnation du régime libyen et en tolérant chez eux des manifestants pro-kadhafi » Des divisions parmi les dirigeants africains qui n’ont sans doute pas favorisé les choix de l’Union africaine (UA, AU en anglais) et sont certainement pour quelque chose dont l’attentisme dénoncé en revanche par une partie des intellectuels africains. On constate pourtant que tout en faisant semblant de proposer un plan de paix « équitable », l’organisation ne dissimule pas un penchant pour le pouvoir en place. Et là il y aurait beaucoup à dire. Rappelons simplement qu’après plusieurs semaines d’un silence remarqué pendant qu’avançaient les troupes de Kadhafi, elle a fini par s’exprimer au lendemain du début de déroute des loyalistes pour s’opposer à la guerre et appeler à un cessez-le feu immédiat. The Standard kenyan titrant ironiquement le 12 avril 2011 : « AU roadmap brings Gaddafi’s power to its twilight » (la feuille de route de l’UA mène Kadhafi au crépuscule), mais soulignant que cette implication africaine constituait pour le Guide un bol d’air. L’UA se serait-elle prononcée si Kadhafi avait repris militairement le contrôle de son pays au prix du massacre des populations, sous prétexte de poursuivre les rebelles et que les pays occidentaux n’aient pas décidé de s’engager aux côtés de ces derniers ? Personne n’en sait rien. Quoi qu’il en soit, plusieurs facteurs expliquent la posture « africaine ».

LE POIDS DE KADHAFI EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Mouammar Kadhafi a depuis toujours exercé une influence considérable en Afrique subsaharienne. On se souvient déjà qu’il était à l’initiative de la conversion avortée de l’ancien président du Bénin Mathieu Kérékou et de celle aboutie d’Omar Bongo à l’islam. À partir des années 1990, il a accru sa présence sur tout le continent noir. Il a multiplié des investissements considérables dans divers secteurs et pratiquement tous les pays, notamment en ce qui concerne l’immobilier et l’hôtellerie. Il a personnellement financé la construction de la plupart des centres islamiques universitaires africains et de dizaines de mosquées sur tout le continent. Il subventionne personnellement les écoles coraniques et autres institutions à destination de la jeunesse musulmane d’Afrique. Il rémunère par exemple quelque 500 maîtres d’école coranique au Mali. Il est passé bienfaiteur d’organisations islamiques africaines de tous types. « Un homme d’une grande générosité », comme on se plaît à le qualifier. « Certaines personnes sont diaboliques, mais pas le Colonel. C’est un bon Africain »  comme l’atteste le porte-parole du président malien, Seydou Sissouma ; et de poursuivre : « Kadhafi n’achète pas ses amis. La Libye a accepté de partager ses ressources avec les autres. Les autres producteurs de pétrole en Afrique, comme le Nigeria, ne le font pas »  Il a été derrière plusieurs coups d’État ; il a soutenu des chefs d’État et financé plusieurs campagnes électorales. Et le Guide libyen compte du même coup un grand nombre d’obligés. Après avoir essayé en vain d’organiser à sa guise la Ligue arabe, il a décidé de faire main basse sur l’Afrique en profitant du désir de changement quant aux statuts de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) pour imposer son concept et des institutions à une Union Africaine qu’il rêvait de présider à vie. Qu’il n’y ait pas réussi lui importe peu, l’UA est son bébé, sa chose et il en prend soin avec abnégation. À lui seul, Kadhafi assure 15 % des cotisations de cette institution. Il avait en outre réussi au moins à se faire introniser « roi des rois d’Afrique » à vie et s’était vu remettre au Forum des chefs traditionnels africains rassemblant quelque 200 d’entre eux, issus de tout le continent, le diadème royal le 28 août 2008 à Benghazi. Des chefs traditionnels qui mettaient justement en exergue l’œuvre du Guide en Afrique pour le choisir comme roi. La déclaration du Forum rappelant du reste toutes les raisons de son influence : « Nous affirmons qu’il est le créateur de l’espace de la Communauté des États sahélo-sahariens. Il a parcouru des milliers de kilomètres à travers les déserts et les forêts, pour marquer sa présence et sa solidarité active auprès des populations d’Afrique, s’enquérir de leurs conditions de vie et d’existence, afin de les affranchir davantage de l’ignorance, de la pauvreté, des maladies et du sous-développement ». On avait au préalable évoqué les initiatives de Kadhafi en faveur du renforcement de l’Afrique dans dans la légitime reconquête de sa dignité et de sa liberté ; ses efforts pour réaliser l’unité du continent ; son soutien actif aux mouvements africains de libération et sa contribution significative pour soustraire l’Afrique aux relents de colonialisme et au joug de l’apartheid ; son rôle pionnier dans la construction de l’Union africaine. Rien d’étonnant à ce que le Guide soit considéré en Afrique comme un héros, que des fans clubs se soient constitués sur tout le continent en son honneur, que les pays africains et en premier lieu l’UA aient hésité à lui tourner le dos. Paroles d’une sublime sagesse « africaine » du célèbre écrivain malien Seydou Kouyaté à fins de règlement de la crise libyenne : « Kadhafi est l’ami et bâtisseur de l’Afrique. Nous devons, durant l’épreuve qu’il traverse actuellement, lui apporter un soutien clair […] Il faut aller le voir, lui parler, lui déconseiller un usage disproportionné de la force, mais lui dire aussi que nous le soutenons face à l’Occident qui veut son départ brutal »

DÉSACCORD SUR LES BUTS DE LA GUERRE

Dans une conférence de presse animée conjointement au Caire avec le secrétaire général de la Ligue arabe le 26 mars 2011, Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, indiquait avoir présenté les propositions de l’UA sur la crise en Libye, précisant que pour l’UA la priorité était la satisfaction des revendications du peuple libyen : démocratie, liberté, paix et stabilité. Des valeurs universelles que les Africains, donc, partagent évidemment. Si ces derniers étaient néanmoins opposés à la guerre de l’Occident en Libye et « forcés » de soutenir Kadhafi, c’était pour des raisons précises qui allaient bien au-delà de l’attachement affectif. La question de fond, telle que l’analyse Jean-Paul Pougala, écrivain d’origine camerounaise, directeur de l’Institut d’études géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la diplomatie de Genève dans Les mensonges de la guerre de l’Occident contre la Libye

La première des « vraies raisons de la guerre en Libye » évoquées était la volonté d’empêcher une indépendance africaine en matière de réseau satellitaire.

« L’histoire démarre en 1992 lorsque 45 pays africains créent la société RASCOM pour disposer d’un satellite africain et faire chuter les coûts de communication sur le continent. Téléphoner de et vers l’Afrique est alors le tarif le plus cher au monde, parce qu’il y avait un impôt de 500 millions de dollars que l’Europe encaissait par an sur les conversations téléphoniques même à l’intérieur du même pays africain, pour le transit des voix sur les satellites européens comme Intelsat […]. Un satellite africain coûtait juste 400 millions de dollars payable une seule fois et ne plus payer les 500 millions de location par an. Quel banquier ne financerait pas un tel projet ? Mais l’équation la plus difficile à résoudre était : comment l’esclave peut-il s’affranchir de l’exploitation servile de son maître en sollicitant l’aide de ce dernier pour y parvenir ? Ainsi, la Banque Mondiale, FMI, les États-Unis, l’Union Européenne ont fait miroiter inutilement ces pays pendant 14 ans. C’est en 2006 que Kadhafi met fin au supplice de l’inutile mendicité aux prétendus bienfaiteurs occidentaux pratiquant des prêts à un taux usuraire ; le guide Libyen a ainsi mis sur la table 300 millions de dollars, La Banque Africaine de Développement a mis 50 millions, la Banque Ouest Africaine de Développement, 27 millions et c’est ainsi que l’Afrique a depuis le 26 décembre 2007 le tout premier satellite de communication de son histoire. Dans la foulée, la Chine et la Russie s’y sont mises, cette fois en cédant leur technologie et ont permis le lancement de nouveaux satellites, Sud-Africain, Nigérian, Angolais, Algérien et même un deuxième satellite africain est lancé en juillet 2010. Et on attend pour 2020, le tout premier satellite technologiquement 100 % africain et construit sur le sol africain, notamment en Algérie. Ce satellite est prévu pour concurrencer les meilleurs du monde, mais à un coût 10 fois inférieur, un vrai défi. Voilà comment un simple geste symbolique de 300 petits millions peut changer la vie de tout un continent. La Libye de Kadhafi a fait perdre à l’Occident, pas seulement 500 millions de dollars par an mais les milliards de dollars de dettes et d’intérêts que cette même dette permettait de générer à l’infini et de façon exponentielle, contribuant ainsi à entretenir le système occulte pour dépouiller l’Afrique »

Deuxième raison d’abattre Kadhafi ; le Guide voulait garantir à l’Afrique son indépendance financière :

« Les 30 milliards de dollars saisis par M. Obama appartiennent à la Banque Centrale Libyenne et prévu pour la contribution libyenne à la finalisation de la fédération africaine à travers 3 projets phare : la Banque Africaine d’Investissement à Syrte en Libye, la création dès ce 2011 du Fond Monétaire Africain avec un capital de 42 milliards de dollars avec Yaoundé pour siège, la Banque Centrale Africaine avec le siège à Abuja au Nigeria dont la première émission de la monnaie africaine signera la fin du Franc CFA grâce auquel Paris a la main mise sur certains pays africains depuis 50 ans. On comprend dès lors et encore une fois la rage de Paris contre Kadhafi. Le Fond Monétaire Africain doit remplacer en tout et pour tout les activités sur le sol africain du Fond Monétaire International qui avec seulement 25 milliards de dollars de capital a pu mettre à genoux tout un continent avec des privatisations discutables, comme le fait d’obliger les pays africains à passer d’un monopole public vers un monopole privé. Ce sont les mêmes pays occidentaux qui ont frappé à la porte pour être eux aussi membres du Fond Monétaire africain et c’est à l’unanimité que le 16-17 décembre 2010 à Yaoundé les Africains ont repoussé cette convoitise, instituant que seuls les pays africains seront membres de ce FMA. Il est donc évident qu’après la Libye la coalition occidentale déclarera sa prochaine guerre à l’Algérie, parce qu’en plus des ses ressources énergétiques énormes, ce pays a une réserve monétaire de 150 milliards d’Euros. Ce qui devient la convoitise de tous les pays qui bombardent la Libye et qui ont tous quelque chose en commun, ils sont tous financièrement en quasi faillite… »

Troisième raison évoquée, la volonté occidentale de stopper la construction de l’Union africaine dont Kadhafi était le maître d’œuvre et l’artisan :

« Pour déstabiliser et détruire l’Union Africaine qui va dangereusement (pour l’Occident) vers les États-Unis d’Afrique avec la main de maître de Kadhafi, l’Union Européenne a d’abord tenté sans y parvenir la carte de la création de l’UPM (Union Pour la Méditerranée). Il fallait à tout prix couper l’Afrique du Nord du reste de l’Afrique en mettant en avant les mêmes thèses racistes du XVIII-XIXe siècle selon lesquelles les populations africaines d’origine Arabes seraient plus évoluées, plus civilisées que le reste du continent. Cela a échoué parce que Kadhafi a refusé d’y aller. Il a compris très vite le jeu à partir du moment où on parlait de la Méditerranée en associant quelques pays africains sans en informer l’Union Africaine, mais en y invitant tous les 27 pays de l’Union Européenne. L’UPM sans le principal moteur de la fédération africaine était foirée avant même de commencer, un mort–né avec Sarkozy comme Président et Mubarack, le vice-président. Ce qu’Alain Juppé tente de relancer, tout en misant sur la chute de Kadhafi, bien sûr »

Quatrième raison, Kadhafi devait payer pour avoir libéré l’Afrique du Sud actuel moteur du développement africain et de l’entrée du continent dans la cour des grands :

« Kadhafi est dans le cœur de presque tous les Africains comme un homme très généreux et humaniste pour son soutien désintéressé a la bataille contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Si Kadhafi avait été un homme égoïste, rien ne l’obligeait à attirer sur lui les foudres des occidentaux pour soutenir financièrement et militairement l’ANC dans sa bataille contre l’apartheid. C’est pour cela qu’à peine libéré de ses 27 ans de prisons, Mandela décide d’aller rompre l’embargo des Nations Unis contre la Libye le 23 Octobre 1997. Mandela décida de rompre cette injustice et répondant a l’ex Président Américain Bill Clinton, qui avait jugé cette visite « malvenue », il s’insurgea : « Aucun État ne peut s’arroger le rôle de gendarme du monde, et aucun État ne peut dicter aux autres ce qu’ils doivent faire ». Il ajouta : « ceux-là qui hier étaient les amis de nos ennemis, ont aujourd’hui le toupet de me proposer de ne pas visiter mon frère Kadhafi, ils nous conseillent d’être ingrats et d’oublier nos amis d’hier ». En effet, pour l’Occident, les racistes d’Afrique du Sud étaient leurs frères qu’il fallait protéger. C’est pour cela que tous les membres de l’ANC étaient considérés comme des dangereux terroristes, y compris Nelson Mandela »

Plusieurs autres arguments de type nationaliste ont été défendus dans divers organes de presse. Par exemple Le Messager (Cameroun) qui soulignait « Le niet de Kadhafi » quant à l’installation d’Africom (Africa Command) sur le continent : « La Libye de Kadhafi qui dénonce régulièrement l’existence de bases militaires françaises en Afrique refuse en effet toute présence militaire étrangère sur son sol ainsi que sur le continent africain et voit dans l’arrivée de l’Africom une manière américaine de vouloir recoloniser l’Afrique ». Et Aloysius Agendia de se demander sur son site le 26 mars 2011 : « Les forces alliées sont en Libye pour la propagation de la liberté ou celle du libéralisme, du capitalisme ou du Nouvel Ordre Mondial ? » . Il apparaît donc clairement que pour une partie des Africains du continent et de la diaspora, la guerre contre Kadhafi relevait d’un complot contre l’Afrique. Une thèse d’autant plausible qu’on a tenu l’Afrique soigneusement à l’écart de tout ce qui touche à ce conflit.

LA POLITIQUE DU « DEUX POIDS DEUX MESURES »

Les journaux africains ont également relayé les avis de personnalités africaines ayant condamné l’intervention occidentale en évoquant la contradiction occidentale puisque les puissances ne font rien pour faire cesser la répression de manifestations pacifiques en Syrie, au Yémen et au Bahreïn alors qu’elles se sont précipitées au secours des rebelles armés de Libye. « Que ne sont-ils intervenus en Tunisie, en Égypte, où le peuple était effectivement dans la rue, sans armes ? Et pourquoi n’interviennent-ils pas en Palestine, où le peuple est dans la rue ? » , s’interrogeait l’ex-première dame du Mali Adame Ba Konaré, auteur d’une lettre ouverte dans laquelle elle pestait : « Il faut qu’on nous explique la politique du « deux poids deux mesures » » .  Et c’était au tour du président ougandais Yoweri Museveni de fustiger dès le lendemain 21 mars 2011 « la politique occidentale de deux poids deux mesures sur le conflit en Libye » en citant les développements au Bahreïn . Deux jours après la publication de la lettre de Madame Ba Konaré, le Concil for Africa International, groupe de réflexion basé en Grande-Bretagne, critiquait lui aussi l’Occident pour son offensive militaire en Libye et dénonçait à nouveau une politique de « deux poids deux mesures » ; il déclarait dans un communiqué publié à Accra par son président, le Dr. Koku Adomdza : « Nous condamnons l’évidente politique de deux poids deux mesures et l’hypocrisie de l’Occident qui ignore les atteintes aux droits humains et les effusions de sang au Yémen, au Bahreïn et en Arabie saoudite » . Madame Ba Konaré allait s’en expliquer : la politique qu’elle dénonçait obéissait à une « logique de recolonisation du continent » ; elle appelait dès lors les Africains à se mobiliser pour défendre leur « continent meurtri et bafoué »

MARGINALISATION DE L’UNION AFRICAINE

Plusieurs journaux africains ont dénoncé « l’irresponsabilité des dirigeants “nègres” » , accusant l’UA de ne s’être pas saisie du dossier libyen et de l’avoir abandonné aux Occidentaux. Ils appréhendaient l’engagement militaire des Occidentaux comme une conséquence de l’incapacité des dirigeants africains à gérer eux-mêmes leurs crises. Madame Ba Konaré n’étant pas tendre avec eux : « Ce que je reproche à l’Afrique et aux chefs, notamment aux chefs africains, c’est leur pusillanimité. L’Afrique est timorée. On est encore engoncé dans ces peurs coloniales et nous n’arrivons pas à les dépasser. C’est sûr qu’il y a une faillite des nos élites politiques, notamment au niveau du leadership, et même une incapacité de l’Union africaine à anticiper. Le silence du continent a été lourdement préjudiciable dans cette affaire. Je crois que s’ils s’étaient exprimés très tôt, ces chefs-là, ils auraient pu anticiper sur le cours des événements. Et puis désamorcer même la bombe des Nations unies » . Elle regrette que, ce faisant, l’Afrique ait été « exclue d’un débat qui aurait dû être prioritairement le sien ». Plusieurs journaux africains abondant dans le même sens et faisant remarquer que l’UA a été tenue à l’écart du problème. Dans ce conflit, elle n’a été ni sollicitée ni considérée par les autres protagonistes internationaux comme un interlocuteur. Sous prétexte de ménager les musulmans, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient plus préoccupés par la Ligue arabe et lorsque l’UA s’est prononcée après l’intervention, les médias occidentaux n’ont pas suffisamment relayé l’information. On a fait plus de cas de la Ligue arabe, de l’Allemagne, de la Russie et de la Chine. Toute la faute n’étant alors pas à imputer aux tergiversations des diplomates de l’UA et au « griotisme » des chefs d’État. Pour Mingar Monodji Fidel, « une fois de plus, l’Union africaine a été humiliée, méprisée, isolée sur sa propre terre par les soi-disant puissances démocratiques qui ne pensent qu’à réaliser leurs desseins machiavéliques »  ; et la défense des droits de l’homme n’avait ici rien de déterminant : « alors qu’elles prétendent aller mettre fin aux violations de ces droits, elles les violent elles-mêmes très sérieusement » . Qu’on soit d’accord ou pas avec cette analyse, beaucoup d’Africains estiment que l’Afrique a été indéniablement et ostensiblement marginalisée, réduite au silence. Un des nombreux lecteurs africains réagissant à cet article par ces mots : « On ne prend en compte les décisions de l’UA que si celles-ci arrangent les Occidentaux. Chaque fois que l’UA a eu un son de cloche différent, on ne relaie plus ses prises de positions » . Ce qui revient d’ailleurs selon eux à une erreur stratégique puisque Kadhafi, après avoir longtemps échoué à dynamiser la Ligue arabe, s’était définitivement, tourné vers l’Afrique noire dont il a bâti tambour battant l’organisation ! Il était donc plus susceptible d’écouter l’Afrique que des pays du Moyen-Orient avec lesquels il ne partageait pratiquement plus rien. Sans doute aurait-il fallu justement travailler sur l’opinion africaine si on voulait mieux isoler Kadhafi. Malheureusement : « Au moment où l’Union africaine est entrée en jeu pour tenter de désamorcer cette crise qui risque de perdurer et de menacer la stabilité de tous les pays du Sahel, l’Europe développe un double langage qui, d’une part, soutient l’initiative africaine et, d’autre part, prépare une autre proposition politique de nature à torpiller tout effort de règlement de la crise qui risque de perdurer et qui menace toute la bande sahélo-saharienne » . Si on s’était appuyé sur l’Afrique, le moral de Kadhafi en aurait été atteint plus gravement ! Au lieu de cela, il a pu compter sur des Tchadiens, les rebelles touaregs, ceux du Darfour et des mercenaires venus de tout le continent. Tous ceux qui lui doivent leur pouvoir contribuant d’une certaine façon à son maintien !

CONCLUSION

Que ces arguments soient décalés, paranoïaques ou mêmes farfelus, il n’en alimentent pas moins le militantisme de clubs, groupes et futurs combattants pro-Kadhafi, tous séduits par sa verve anticolonialiste. « Il est pour nous un exemple de courage et d’abnégation face au néocolonialisme et à l’impérialisme occidental » , estime Armand Setondji, président de Jeunesse unie pour les États-Unis d’Afrique (JUPEUA). En somme, Kadhafi a rejoint le panthéon des grandes figures africaines comme Soundjata Keita (fondateur de l’empire du Mali), Soumangourou Kanté (souverain soussou, premier tiers du XIIIe siècle), Patrice Lumumba, Kwame NKrumah, Nelson Mandela et d’autres. En revanche, dans sa chronique du samedi 26 mars sur RFI, le journaliste Jean-Baptiste Placca ne reculait pas devant un verdict sévère : « La mode, aujourd’hui, est d’aller faire du panafricanisme à bon marché dans des pays qui ne sont pas le vôtre, sur les souffrances d’autres peuples » (Libye et Libyens, ndlr). De fait : « Jusque-là, ils étaient bien silencieux, les intellectuels africains, face au sort de ce peuple vaincu par ses propres dirigeants » .

 

Cairn.info

Notes

[1]

MICA (Médias, Information, Communication, Art) , Université de Bordeaux 3.

[2]

Selon un sondage mené en France du 5 au 7 avril et publié par Le Monde, près de 63 % des Français sondés approuvaient les opérations de l’OTAN en Libye contre 40 % en Italie, 50 % en Grande-Bretagne et 55 % aux États-Unis. De 63 % à 76 % des sondés dans les quatre pays estimaient qu’il fallait renverser le Guide libyen. Il y avait sur ce point accord des pays européens, l’Espagne mise à part. Seule inquiétude des sondés : le coût de l’opération.

[3]

<www.nettali.net>, Sénégal, 23 février 2011.

[4]

The Standard (Kenya) titrant le 21 mars 2011 : « Can Libya’s Operation Odyssey Dawn serve as deterrent to Africa’s dictators ? ».

[5]

BBC News, 4 mars 2011

[6]

The Standard (Kenya), 27 février 2011.

[7]

Le Soleil (Dakar), 24 mars 2011.

[8]

La Gazette de la Grande Île (Madagascar), 23 Mars 2011.

[9]

<http://monasam.over-blog.com>, 24 mars 2011.

[10]

L’indicateur Renouveau (Mali), 15 avril 2011.

[11]

Le Monde, 30 mars 2011,

[12]

Ibid.

[13]

L’indicateur Renouveau, 22 mars 2011, source Slate Afrique.

[14]

Ibid.

[15]

AFP, 18 mars 2011.

[16]

J’ignore où le texte a été publié pour la première fois, mais il a rencontré en Afrique un énorme succès dans toutes les langues officielles (français, anglais, portugais), contribuant sans doute ainsi à réactiver le nationalisme africain. Cameroun-info du 28 mars l’a intitulé : « Voici pourquoi la France en veut à la Libye ! » ; et Togoforum : « Pourquoi ces nazillons attaquent Kadhafi ? La vérité », 12 avril.

[17]

« Pourquoi ces nazillons », ibid.

[18]

Ibid.

[19]

Ibid.

[20]

Ibid.

[21]

<http://agendia.jigsy.com>, 26 mars 2011.

[22]

RFI , entretien avec Christophe Boisbouvier, 23 mars 2011

[23]

Document reproduit le 20 mars 2011 dans les colonnes de plusieurs journaux dont Les Afriques.

[24]

Xinhua, 22 mars 2011.

[25]

Dépêche de la Pana, 22 mars 2011.

[26]

Entretien sur RFI, op. cit.

[27]

Liberté (Togo), 11 avril 2011.

[28]

Entretien sur RFI, op. cit.

[29]

Lettre ouverte du 20 mars 2011, <www.lesafriques.com>, 23 mars 2011.

[30]

Cf. Mingar Monodji Fidel, « Crise libyenne Entre la marginalisation de l’Union Africaine et l’arrogance des démocraties occidentales : le triomphe de la terreur ! », <http://atelier.rfi.fr>, 22 mars 2011.

[31]

Ibid.

[32]

Ibid.

[33]

Ibid.

[34]

Cité par l’AFP dans une dépêche du 18 mars 2011.

[35]

Cf. Chronique de Jean-Baptiste Placca, « Tout ce qui n’est pas analphabète… », RFI, 26 mars 2011.

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