19 juin 1913 | Naît la première loi d’apartheid privant les Noirs de 87 % de leurs terres

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En 1913, est voté par le Parlement de la toute jeune Union sud-africaine le Natives Land Act. Ce texte prive des Noirs de la possession de 87 % des terres du pays, véritable préfiguration des futurs bantoustans. La machine qui va mener au racisme institutionnalisé est en marche.

L ’Union sud-africaine avait à peine trois ans. Si jeune pour un si lourd péché. Il n’y avait que trois ans en effet que les impérialistes anglais et les afrikaners s’étaient « réconciliés » après deux guerres fratricides. Trois ans et voilà que le Parlement vote le Natives Land Act, première loi de ségrégation à l’échelle du territoire national en formation. Le texte stipule que les Noirs sud-africains ne peuvent prétendre à la possession de 87 % de la surface du pays. Autrement dit, la majorité de la population se voit réserver en propriété – non en habitation – 13 % des terres, évidemment pas les plus fertiles. L’apartheid est né. Il n’est encore que « petty » (« mesquin », en anglais). Il deviendra « groot » (« grand », en afrikaans) avec l’élection du Parti national en 1948 et le vote d’une série de lois organisant systématiquement la séparation des populations et la mise en exil intérieur des populations noires sur leurs propres terres.

Pour comprendre le processus qui a conduit à l’instauration du système du diable dans un bout paradisiaque d’Afrique, il faut remonter à l’origine non du pays, mais de la colonisation. En 1652, la compagnie des Indes orientales décide de prendre pied en un point stratégique de la route commerciale vers l’Asie : entre océans Atlantique et Indien, au cap de Bonne-Espérance. En 1688, cette petite colonie, qui pratique l’esclavage depuis le début de son existence, est renforcée par l’arrivée de quelques centaines de huguenots ayant fui la France après la révocation de l’édit de Nantes.

Au XVIIIe siècle, cette « microsociété » s’est développée au-delà des montagnes, faisant ainsi prospérer une nouvelle catégorie sociale : le « boer », fermier libre, qui, décennie après décennie, gagne son autonomie par rapport à la maison mère hollandaise. Mais cette conquête de l’intérieur se fait au détriment des populations noires. Entre 1779 et 1878, se déroulent huit guerres dites « cafres » (1).

Parallèlement à ce premier choc, un deuxième survient : celui qui oppose le colonialisme « africanisé » des boers devenus afrikaners et l’impérialisme britannique. Il se déroule en plusieurs étapes. Pendant les guerres napoléoniennes, les Britanniques prennent possession du Cap, provoquant la fuite d’une cohorte de mécontents afrikaners (« le grand trek »), qui fondent deux républiques autonomes loin, très loin, des Anglais. Mais pas assez loin pour l’appât du gain qui motive le capitalisme britannique. Lorsque de l’or est découvert sur le site de la future Johannesburg, en république afrikaner, celui-ci rapplique pour faire main basse sur le magot. Les deux guerres des Boers (1880-1881 et 1899-1902) se soldent par l’intégration des deux républiques afrikaners à l’Empire britannique. Le conflit – au cours duquel les Anglais enfermèrent des centaines de milliers d’afrikaners, hommes, femmes et enfants dans des camps de concentration – laissera durablement un goût de sang dans la bouche d’une population humiliée, ferment du nationalisme afrikaner qui prépare sa revanche.

Mais, pour l’heure, il est temps de se réconcilier… sur le dos des Noirs. Quatre ans à peine après le triomphe de la Couronne britannique, Anglais et afrikaners se retrouvent sous le même maillot : celui d’une équipe commune de rugby qui gagne, lors de sa première tournée britannique, le surnom de Springboks, en référence aux gazelles australes. Mais tout n’est pas aussi ludique. Dès la nomination de l’ancien général boer Louis Botha à la tête du premier gouvernement de l’Union sud-africaine, les premières lois discriminatoires tombent.

En 1911, certains emplois qualifiés dans les mines sont réservés aux Blancs. En 1913, c’est donc au tour de la terre d’être « ségréguée ». En 1923, l’Urban Areas Act instaure la ségrégation résidentielle, en créant les « native locations » (quartiers indigènes), des bidonvilles où sont entassés les Noirs. Trois ans plus tard, le Color Bar Act interdit aux Noirs l’accès aux emplois qualifiés. En 1936, la Representation of Native Act retire les Noirs des listes électorales de la province du Cap, historiquement plus « libérale » que les autres provinces. En 1942, les travailleurs noirs sont interdits de grève.

Le terrain est ainsi préparé au « grand apartheid », au racisme institutionnalisé et à son projet le plus délirant, les « bantoustans », tentative de parquer les millions de Sud-Africains noirs dans une infime partie du territoire. Pour être précis, sur ces mêmes 13 % qui avaient été « alloués » aux propriétaires noirs en 1913. La boucle devait être bouclée. L’on sait que l’histoire s’est chargée, avec le mouvement de libération et l’ANC comme agent agissant, de la défaire, même si le problème de la terre (lire l’encadré ci-contre) demeure l’un des plus complexes de l’Afrique du Sud contemporaine.

Afrique du Sud: adoption d’une loi autorisant l’Etat à exproprier des terres

Jusqu’en 2012, seulement  8 % des terres  ont été restituées mais dès 2016, le Parlement sud-africain votait une loi permettant une accélération de la réforme agraire. Ce nouveau texte va autoriser l’expropriation de la terre, contre compensation, si c’est dans le cadre de l’intérêt public. Une mesure qui concerne des dizaines de milliers de Sud-Africains noirs qui ont été expropriés pendant l’apartheid. Cette loi controversée attend maintenant d’être promulguée par le chef de l’Etat.

Avec cette nouvelle loi, le gouvernement compte exproprier dans l’intérêt de la réforme agraire. C’est-à-dire forcer les propriétaires à vendre s’il est prouvé que les terres qu’ils occupent ont été prises à la minorité noire pendant l’apartheid.

Pour Ruth Hall de l’université du Western Cape, c’est une bonne nouvelle qui va permettre de débloquer des dizaines de milliers de procédures de restitution. « C’est très clair qu’un nombre important de Sud-Africains noirs attendent de pouvoir récupérer leur terre. Et beaucoup d’entre eux vont saluer cette nouvelle loi car elle donne le pouvoir à l’Etat d’acquérir la terre et de la restituer aux ex-propriétaires noirs même si les propriétaires actuels ne veulent pas vendre », souligne-t-elle.

Car jusqu’à présent, l’Etat ne pouvait acheter la terre que si le vendeur était consentant.

La loi a été adoptée par l’ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir, majoritaire au Parlement. L’opposition s’est prononcée contre. Elle estime que le texte est trop vague et risque de donner lieu à des abus. Quant au parti de gauche radical EFF de Julius Malema, il s’y est opposé affirmant que la terre doit être restituée sans compensation.


(1) Dérivé d’un mot arabe qui signifie « infidèle ». Du temps de l’apartheid, les Noirs étaient traités de « kaffir » (équivalent de sale nègre).

Par: CHRISTOPHE DEROUBAIX

Avec: RFI

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