COOPÉRATION CAMEROUN – FRANCE: Plus de 50 ans d’accords iniques et cyniques

Voici comment Charles de Gaulle et Maurice Couve de Murville ont mis le Cameroun sous la coupe réglée de la France… avec la complicité de Ahmadou Ahidjo B. et Charles G. René Okala.

Quelques mois seulement après l’indépendance du Cameroun, de nombreux accords de coopération ont été signés entre la France, puissance impériale et le jeune Etat du Cameroun. Des accords qui confirment que l’autnomie du Cameroun n’a jamais été totale. C’est exactement le scénario que craignaient les dirigeants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) qui défendaient « l’indépendance totale et immédiate » du Cameroun qui s’est produit. Ces derniers soupçonnaient la France de ne pas vouloir « libérer » comme le Cameroun, tout comme les autres pays faisant partie des colonies françaises.

Cette crainte, pourtant bien exprimée à la tribune des Nations Unies vers la fin des années 50, n’a pas fait reculer les dirigeants français qui clamaient haut et fort que l’indépendance du Cameroun sera totale.
L’histoire a fini par donner raison aux dirigeants de l’UPC qui, presque tous, ont fini par se faire tuer par les anciens colonisateurs et leurs affidés. Horizons Nouveaux Magazine International (HNM Inter), à travers des documents exclusifs, dans cette édition et celles qui vont suivre, tente de décrypter ce qui s’est passé au cours des années 1960 dans certains pays ayant été administrés par la France au travers de divers accords et conventions signés entre la France et le Cameroun. Pour ce début, HNM Inter s’intéresse à l’accord de coopération et d’assistance technique signé entre les deux parties avant la fin de l’année 1960. Celui-ci porte bien le titre « ACCORD FRANCO-CAMEROUNAIS DE COOPERATION ET D’ASSISTANCE TECHNIQUE DU 13 NOVEMBRE 1960 ».

A priori, il n’y a aucun mal à ce que deux Etats s’engagent à coopérer. Seulement, s’arrêter à cette assertion, c’est mal connaitre les intentions cachées que contient ce texte.

Dans le rapport des forces entre deux Etats indépendants, c’est comme si un géant s’associait à un nain et les lignes qui suivent sont suffisants pour le constater. D’entrée de jeu, il y est écrit : « Le Président de la République française et le Président de la République du Cameroun Soucieux de définir, dans le domaine des relations extéreures les modalités de leur coopération et déterminés à maintenir et à renforcer ainsi la solidarité qui les unit. Ont résolu de conclure le présent traité. Ils ont désigné à cet effet pour leurs plénipotentiaires : Le Président de la République française, M. Maurice COUVE de MURVILLE, ministre des Affaires étrangères, Le Président de la République du Cameroun, M. Charles-René Okala, ministre des Affaires étrangères. Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme sont convenus des dispositions qui suivent : ».

Les dés pipés

Jusqu’ici, rien d’anormal que les deux Chefs d’Etat soient représentés par leurs ministres des Affaires étrangères pour la signature d’un accord. Les deux protagonistes ont le même statut dans leurs Etats respectifs, ce qui est une bonne chose. Mais la suite ne le sera pas.

En effet, en son article premier, l’accord stipule « Le Président de la République française accrédite auprès de la République du Cameroun un Ambassadeur ; celui-ci est le doyen du Corps diplomatique au Cameroun. Le Président de la République du Cameroun accrédite auprès de la République française un Ambassadeur auquel est réservée une place privilégiée parmi les représentants diplomatiques accrédités à Paris ».

Ceux qui ont conçu et signé ce texte ont-ils seulement pensé un seul instant à l’équité qui doit exister entre deux Etats indépendants ?

Y a-t-il parallélisme des formes dans cet article quand on sait que l’un sera traité avec tous les avantages dus à son rang tandis que son homologue, lui, n’aura droit qu’à des privilèges ? N’y voit-on pas là une volonté manifeste de fourberie, de duperie ?

En outre, n’y a-t-il pas là une volonté clairement exprimée de maintenir les relations de maître à esclave ? Mais ce n’est pas tout.

L’article va plus loin. Il stipule : « Les deux Etats aménageront leurs relations diplomatiques de manière à tenir compte des liens particuliers qui les unissent et à promouvoir une collaboration efficace à tous les niveaux entre les représentations françaises et camerounaises. A cet effet, une procédure de consultation régulière entre les deux Gouvernements sera organisée sur les questions de politique étrangère. ». Ici, la relation de maître-esclave est clairement établie. L’élève devant toujours se confier au maître,avant d’agir ! Cette relation est portée à son comble dans l’article suivant.

Dans cet article 3, l’on peut y lire : « La France assure, à la demande du Cameroun, sa représentation auprès des Etats et organisations où il n’a pas de représentation propre. Dans ce cas, les agents diplomatiques et consulaires français et les délégués français agissent conformément aux directives et instructions du Gouvernement de la République du Cameroun, qui leur sont transmises par l’intermédiaire du Gouvernement de la République française. Toutefois, et à titre exceptionnel, les communications présentant un caractère évident d’urgence administrative pourront être échangées directement entre le gouvernement camerounais et les agents diplomatiques et consulaires français ».

Il ne pouvait en être autrement.

Aucun citoyen digne de ce nom ne peut accepter recevoir des ordres d’un pays tiers et les respecter. Une fois de plus, la main-mise de la France est prouvée car dans ces conditions-là, le Gouvernement camerounais doit au préalable saisir le Gouvernement français. Où est donc l’indépendance du Cameroun dans tout cela ?

Et dans le cas où les intérêts français et camerounais seraient antagonistes, qu’adviendrait-il ? Et pour se dédouaner en cas de problème, le Gouvernement français semble ouvrir une porte au Gouvernement camerounais dans l’article 4.

« Sur la demande du Gouvernement de la République du Cameroun, le Gouvernement de la République française fournira l’aide technique nécessaire à l’organisation et à la formation des corps diplomatique et consulaire camerounais. ». Un aveu de supériorité qui ne dit pas son nom.

Qu’est-ce qui a empêché la France de former ce personnel pendant qu’elle administrait le Cameroun ?

La réponse est simple, la France pensait pouvoir administrer à sa guise le Cameroun et avec l’onction de l’ONU, pendant très longtemps encore.

La France et le Général Charles De Gaulle avec, a été surprise de voir ces « barbares » réclamer aussi rapidement leur indépendance, une indépendance à laquelle la France ne pensait pas, voulant continuer à piller sans cesse un pays qu’elle n’avait pourtant pas colonisé. Car, il faut bien le rappeler, le Cameroun n’était pas une colonie de l’Allemagne mais un protectorat. Il n’en était pas non plus pour la France qui l’avait acquis grâce à un mandat de l’ONU après la défaite de l’Allemagne en 1918. La France, au Cameroun comme au Togo, n’avait jamais tenu ses engagements vis-à-vis de l’ONU et avait administré ce deux pays comme des colonies et c’est la raison pour laquelle les deux se retrouvent dans la zone CFA de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Et en contrepartie de cette main-mise sur le Cameroun, voici ce que propose la France dans l’article 5.

Le Cameroun mis au pas ?

« La République française appuiera la candidature de la République du Cameroun aux organisations internationales dont celle-ci ne fait pas encore partie.
Le Gouvernement français mettra à la disposition du Gouvernement camerounais la documentation élaborée par les organismes et les archives se rapportant aux affaires camerounaises. ».
Comme à un bébé à qui on donne le lait sans lui dire d’où il provient, voilà ce que la France offre au Cameroun sur un plateau d’argent. Si cela a servi lors du conflit qui opposa jadis le Cameroun à son voisin le Nigéria sur la péninsule de Bakassi, il n’empêche que l’on dise que la France n’a jamais rien fait pour que le Cameroun retrouve ses frontières héritées du protectorat allemand. Cela s’appelle aussi la coopération diplomatique !

Et comme si toute cette fourberie ne servait à rien, la France a pris la peine de mettre des garde-fous dans l’article 6 qui stipule : « Aucune des dispositions du présent traité ne saurait être interprétée comme portant atteinte à celles de la Charte des Nations Unies ou des Traités et Engagements présentement en vigueur entre l’un des deux Etats contractants et des Etats tiers. Aucune des dispositions du présent traité ne doit non plus être interprétée comme comportant pour l’un d’entre eux une limitation de pouvoir de négocier et de conclure des traités, conventions ou autres actes internationaux. ». Quelle belle manière de se dédouaner !
Pourtant, l’expérience a prouvé que les Chefs d’Etat Africains des pays d’expression française qui avaient, un tant soit peu tenté de conclure des traités et des conventions à l’insu de la France avaient, soit été rappelés à l’ordre, soit tout simplement été remplacés par plus proches et plus dociles à la France, qu’eux. Le cas de la République Centrafricaine est le plus parlant.
Pour calmer le jeu en ce qui concerne ledit traité, l’on a mis la charrue avant les bœufs en prévenant toute crise pouvant surgir du fait de sa signature. Cette prévention et surtout cette sagesse se trouve en l’article 7 : « Les Hautes Parties contractantes conviennent que tout différend au sujet de l’application ou de l’interprétation du présent traité qu’elles ne seraient pas parvenues à résoudre par les négociations directes sera réglé suivant les procédures prévues par le droit international. ». Parlant de sagesse ici, il faut relever que dans le texte de cet accord, à aucun moment, il n’est fait mention des hautes parties. Et ce n’est pas un hasard lorsqu’ils apparaissent en fin de texte. C’est comme pour prévenir qu’aucune personne, autre que les Présidents des deux Républiques, ne devrait remettre en question cet accord qui doit passer comme une lettre à la Poste. Pourtant, cet accord devait être au préalable soumis aux parlements des deux pays qui auraient pu l’invalider et faire échouer sa ratification. Les deux Chefs de l’Etat ont agi au mépris de leurs peuples respectifs et avec cela, peut-on encore parler de démocratie ou alors, la démocratie n’existait-elle pas à cette époque-là ?

Mais le meilleur nous vient de l’article 8 qui nous apprend que d’autres accords et conventions sont annexés au présent traité. Et ceux-ci ne sont pas des moindres comme vous le constaterez vous-même en le lisant. « Sont annexés au présent traité les accords et conventions suivants, qui en font partie intégrante : a) Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière b) Convention organisant les relations entre le Trésor camerounais et le trésor français c) Convention culturelle d) Accord général de coopération technique en matière de personnel e) Accord de coopération en matière d’aviation civile f) Accord concernant l’Assistance militaire technique aux Forces armées camerounaises g) Convention sur le rôle et le statut de la Mission militaire française au Cameroun ».

Non à l’aliénation de la souveraineté
A la lecture de cet article , l’on se rend compte que certains domaines de souveraineté comme l’économie, les finances, la monnaie, le Trésor ou encore la culture et les forces armées sont concernés par ces accords et conventions.
Cela ne prouve-t-il pas à suffisance que ces accords qui existent depuis plus de cinquante ans et qui n’ont jamais été ni révisés ni dénoncés, que le Cameroun, le 1er Janvier 1960 n’avait acquis qu’une indépendance de façade qui allait être bradée quelques mois plus tard par celui que l’on présentait déjà à l’époque comme « plus proche de la France » ?

La réponse est trouvée dans la lecture de l’article 9 : « Le présent traité entrera en vigueur à la date de l’échange des instruments de ratification qui aura lieu à Paris dès que faire se pourra. ». Une fois encore, l’initiative est laissée à la France pour l’entrée en vigueur qui aurait pu être immédiate quand on sait qu’à cette époque-là, l’assemblée nationale jouait les figurants. Peut-être même que cet accord n’a-t-il jamais été soumis au parlement camerounais pour sa ratification. Mais cela ne change rien au problème ou à la situation qui veut que le Cameroun a toujours été inféodé à la France à cause des accords et conventions tenus secrets jusqu’ici mais qui, peu à peu, sortent des tiroirs afin que nul n’en ignore. C’est l’objectif que nous visons, à savoir, faire connaitre pour mieux apprécier en critiquant et pourquoi pas, en prenant acte pour agir dans l’avenir.

Mouna Mboa

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